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Photo du rédacteurJuliette Riedler

À propos de Torno subito, de François Durif





pour Natacha



Rares sont les livres aujourd’hui où l’on sent qu’une âme se livre et cherche une délivrance dans l’écriture. C’est ce qui ressort à la lecture de Torno subito, de François Durif, qui prête aux confettis, à leur fabrication et à leur métaphore, une fonction et une signification salvatrices étant donnée la lourdeur de la matière à laquelle il a affaire : un célibat doux amer depuis la fin d’un amour il y a de cela dix années, la tétanie créatrice au sein de ce saint des saints qu’est la Villa Médicis dont le jury a retenu son projet d’écriture, la maladie et la mort à venir de ses deux parents. 

Si la lectrice que je suis a d’abord un léger doute quant au sérieux du narrateur dans son projet de réduire ses archives en confettis pour les jeter en l’air à l’occasion d’un carnaval finalement avorté – les pensionnaires de la Villa Médicis ne s’approprient pas l’idée –, sa façon de nous embarquer dans sa vie, du tout petit (confetti ou morceau de sucre sur lequel s’ouvre le livre) au très grand (des méditations sur l’art à la fréquentation de la fin de vie) emporte dès les premières pages. Entre le journal de création et le récit évidemment fragmenté de ses aventures plus ou moins grandes entre Rome, Paris et Clermont Ferrand, on comprend au fur et à mesure de quoi il en retourne dans Torno subito, une manière de « revenir tout de suite » ou de tourbillonner (si l’on observe le mouvement en accéléré) entre un besoin d’amarrer le corps à un programme concret – faire des trous dans des feuilles de papier – et celui de penser son être au monde malgré le sentiment d’éparpillement. 


Le fil du livre et de l’écriture est constitué par ces confettis lancés à des occasions festives, ce cette année de résidence à la Villa Médicis, Graal pour un artiste, pourrait laisser suggérer. Mais le lieu se fait écrasant, le confort et le luxe du cadre, encombrants. Mais les festivités sont habillées de sombre, puisque c’est de deuil dont il sera question en majorité au fil des pages, de la rédaction d’oraisons funèbres à « L’Autre Rive », précédent métier de notre narrateur après avoir renoncé à souscrire aux servitudes du monde de l’art contemporain, à la mort de ses deux parents durant cette année de résidence à Rome. Les confettis, que l’on accepte de suivre comme sujet ou plutôt comme cadre paradoxal pour l’énonciation, produisent, ne serait-ce que par la répétition du mot qui s’égrène à volonté au fil du texte, une volubilité qui permet de traverser sans lourdeur la gravité de ces sujets, mais aussi d’embrasser la vie – le jet de confetti – dans laquelle la mort s’insère – leur éphémérité. 

Nulle unilatéralité, dans ce texte qui court du début d’une année de résidence à Rome, à sa fin. Une pluie d’évènements égrenés dans un désordre apparent, résumés et condensés par le confetti. Ce dernier est une réalité concrète qui occupe Durif, artiste plasticien (comment en fabriquer un grand nombre pour embrasser et réduire ainsi la masse de ses archives). Il est aussi une image, celle de l’auteur qui se livre par éclats, à travers ses errances et difficultés amoureuses et existentielles. Ce qui, aux yeux du monde, constitue une grande fête – être pensionnaire à la Villa Médicis – est renversé et pluralisé en doutes et flashs, souvenirs d’enfance et lignes relevées dans les livres de poètes. 


Comment tout cela tient-il ? Par cette forme paradoxale de mélancolie, où la hauteur réelle et métaphorique où se tient la Villa Médicis invite à la méditation sur la confiance accordée – la capacité à créer une œuvre en une année – et sur la vanité – qu’adviendra-t-il de soi et de son projet une fois l’année achevée. C’est au moment où Durif est « contraint » à créer, lui dont l’œuvre s’inscrivait jusqu’à présent dans des formes d’invisibilité, que ses parents lui font défaut via la plus grande absence. Le cadre s’évase et se creuse de l’intérieur, la beauté de la Villa se dissout et fuit vers ses bords, des garçons dans les parcs aux villes françaises où il est contraint de se rendre au chevet de son père. 

Torno subito, ou le confetti comme forme de vie, une manière d’apparaître et de disparaître à la fois, d’être présent et de se distraire d’être là, aller ailleurs, dans l’air et dans les yeux des autres – serait-ce de dos, ainsi qu’il se présenta lors d’une performance pour la Nuit Blanche à la Villa. Une manière de créer sans cesse une multitude de liens, de n’en figer aucun, de dé-hiérarchiser les évènements et de jouir du présent au milieu de sa dérobade. 

Il est toutefois étonnant que le narrateur se présente comme « marchand de confettis », puisqu’à proprement parler il ne vend rien voire se refuse à vendre autre chose que sa personne, son talent d’agenceur de mots à l’attention des morts et des vivants – ainsi que l’indique son métier à « L’Autre rive » des années durant, vers quoi renvoie aussi l’écriture d’un livre. À moins que ne réside là tout le paradoxe du métier d’artiste, précisément, qui consiste pour chaque œuvre à chercher à son âme une image (les confettis) dont l’incarnation (le livre) trouve sa place dans le grand commerce où nous sommes. 





François Durif, Torno subito, Gallimard, « Verticales », octobre 2024, 256 pages, 22 euros

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