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Photo du rédacteurGuillaume Augias

Sylvain Prudhomme : Les Cailloux du désert (Coyote)



Sylvain Prudhomme (c) Mathieu Zazzo/Gallimard

Au centre du roman que Sylvain Prudhomme avait fait paraître en 2019, quelques semaines après le voyage relaté dans ce nouvel ouvrage, trônait la figure marquante de l'autostoppeur. Tout au long du texte de Par les routes, donc, celui-ci envoyait à ses proches des cartes postales qui formaient bientôt une planisphère. Une sorte d'immense itinéraire dont l'aspect se dessinait au bon vouloir de ses hôtes successifs.


Le résultat, que l'on pourrait qualifier d'œuvre à contraintes, est transposé dans Coyote d'une formidable manière. L'auto-stop est toujours là, c'est même le moteur de l'action, qui accélère plus ou moins voire stationne longuement selon que le pouce attire ou non l'attention. Ici ce n'est plus un doigt fictif, mais bien celui de l'auteur, dont il question. Et le trajet qu'esquissent les cartons successifs épouse le tracé du fameux mur de Donald Trump. 


Comme dans un film muet, les titres des courts chapitres évoquent ainsi des tronçons inégaux du projet-phare de l'homme à la casquette rouge : une muraille séparant les États-Unis du Mexique, afin de mettre un terme à l'immigration illégale. Cette chimère, tout droit sortie d'une uchronie bas de gamme, est le fil d'Ariane du récit, autant que son horizon. Un argument de théâtre de l'absurde en guise de feuille de route.


À des réactions d'hostilité franche ou de rejet pur et simple de la part des personnes croisées s'adjoignent de véritables rencontres, plus ou moins longues et plus ou moins marquantes, presque toujours ponctuées par la prise d'une photo à l'aide d'un Polaroïd. Ces instantanés sont reproduits dans le livre sous la forme de vignettes en noir et blanc, infimes comme un clignement d'œil et précieuses comme une collection enfantine. 


Les dialogues sont restitués à l'oreille, cela s'entend. Les langues se mélangent, ainsi que les pronoms. Les situations, parfois, sont terribles. Tel ce réparateur de jet-skis qui passe tous les jours devant l'endroit où meurent noyés des milliers de Mexicains. Sylvain Prudhomme, vissé à son indéboulonnable désir de dire ce que c'est que ce mur, vise juste. Et il a cet art de révéler ses compagnons de route à leur propre destin.


La solitude est un aspect crucial de ce projet littéraire. Solitude du protagoniste principal, bien sûr, qui trimballe sa fine carcasse chauffée au soleil d'habitacle en habitacle. Mais aussi solitude de la majorité des personnes qui acceptent de le faire monter à bord, souvent des latinos, souvent dans la fleur de l'âge. Et enfin solitude du peuple mexicain que le mur de Trump, réel ou non, amplifie. Tout un peuple, ou presque, renvoyé à l'illégitimité de sa volonté d'ailleurs, de son besoin de fuir la violence, la misère, les cailloux.


Dans ce parcours qui finira par devenir le manuscrit de Coyote (dont le titre renvoie au surnom des passeurs, les émigrants étant des poulets, pollos), quelques étapes marquantes sont glanées : le Rio Grande, Ciudad Juárez et la Casa de Adobe. Ainsi les grandes figures de John Wayne, Roberto Bolaño et Pancho Villa sont-elles convoquées. L'imaginaire de la frontière, de Wim Wenders aux cimetières indiens, est ainsi la matière que Sylvain Prudhomme travaille et renouvelle avec le talent qu'on lui connaît.





Sylvain Prudhomme, Coyote, Editions de Minuit, octobre 2024, 256 pages, 17 euros

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