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Stéphanie Garzanti : « La langue française étant très genrée, elle apparaît comme restrictive. C’est un endroit où la littérature de Wittig élargit les perspectives »


Stéphanie Garzanti/Roxanne Maillet : "Tiens, v'là la Monike"

Comment concevoir un dossier consacré à Monique Wittig sans partir interroger Stéphanie Garzanti qui en fait circuler la figure et la mémoire dans ses différents travaux ? Qui, en effet, n’a pas en tête son travail plastique sur Monique Wittig en compagnie de Roxane Maillet qu’on retrouve convoqué chez Emilie Notéris ? Et désormais son travail littéraire avec le très beau et important Petite Nature chez Cambourakis, collection de cristaux de sensibles où se glisse la figure là encore de Wittig ? Avec générosité, Stéphanie Garzanti se livre dans un bel entretien.


Comment avez-vous découvert Monique Wittig ? Par la force de ses récits ou par la radicalité de sa pensée ?


C’est difficile de se souvenir précisément parce que c’était il y a environ vingt-cinq ans !Mais je crois que c’est d’abord ni par les uns ni par l’autre !Comme je l’ai raconté à Émilie Notéris pour son livre Wittig (Les pérégrines, 2022), j’ai découvert Monique Wittig en lisant son nom sur la quatrième de couverture de Lesvos, oui de Sam Bourcier qui lui « devait beaucoup », et en page quatre du Manifeste contrat-sexuel que Paul B. Preciado lui dédiait. Je n’avais jamais entendu ce nom, je ne savais pas le prononcer. C’était vers 2000, j’étais alors étudiante aux Beaux-arts de Lyon, je n’avais pas accès à une bibliothèque universitaire, c’était à peine les débuts d’Internet... Il fallait être patiente et rester attentive pour trouver des indices, des informations sur les personnes qui m’intéressaient. Paris-la-politique, publié en 1999 m’a complètement échappé, alors qu’à l’époque les ouvrages de P.O.L pouvaient parfois se retrouver sur les tables de nouveautés de la bibliothèque de l’école (mais sans doute pas celui-là)... J’ai fini par tomber sur La Pensée straight dans la librairie gaies et lesbiennes en bas de chez moi, j’ai reconnu ce nom étrange, j’ai acheté le livre, je l’ai lu et même si je n’ai sans doute pas compris tous les enjeux, j’étais par moment assez convaincue par ce que disait cette Monique Wittig.


 

Mettre Les Guérillères au programme du bac afin que les « féminaires » révèlent « beaucoup de choses » que la « pensée straight » nous cache ? Afin de construire de nouvelles épopées et de nouveaux imaginaires ?


Est-ce ce qu’on appelle communément une fausse bonne idée ?On peut toujours rêver de quelques cohortes, comme ils disent aussi à l’Éducation nationale, où tous les élèves seraient lesbiennes, chevaucheraient des juleps_géantes_stéroïdées_clonées, partiraient à l’assaut de Parcours sup’, seraient fortes et futées au point de détruire durablement le patriarcat , et allez, pourquoi pas, anéantiraient l’HOMME, parce qu’elles auraient lu Les Guérillères en Première dans le cours de madame Dessafo... c’est tentant.Mais mettre un livre au programme du bac, c’est aussi aussi le condamner à être détesté par le plus grand nombre, ce serait à dégoûter des générations entières de lire Monique Wittig. Peut-être un peu contre-productif. Et puis, qui l’enseignerait ?Au risque de paraître tiède, peut-être que des extraits plutôt que l’œuvre complète, comme des amuse-bouche, permettraient à chacun·e de décider par elleux-mêmes d’aller plus loin.Pas sûr que l’École soit le meilleur espace pour faire connaître Monique Wittig.Après la rue, avec les vêtements sérigraphiés par Roxanne Maillet fièrement portés, les pancartes reproduisant les mots de Wittig dans les manifestations, les arts visuels, la danse, la littérature qui s’y réfèrent beaucoup (Tiens, v’là la Monique), il faudrait plutôt des films, des jeux vidéo... wittigiens pour que Wittig apparaisse aux plus jeunes.Je ne suis pas certaine que les personnes qui ont dix-sept ans aujourd’hui nous attendent, ni nous et nos programmes, ni Monique Wittig pour construire de nouvelles épopées et de nouveaux imaginaires.

 


« Les lesbiennes ne sont pas des femmes » : une déflagration dans les milieux féministes dans les années 1970 : sommes-nous prêts aujourd’hui à écouter cette idée si émancipatrice ?


J’ai lu cette phrase à vingt-trois ans, soit une vingtaine d’années après que Monique Wittig a prononcé son désormais célèbre discours à Barnard College et dont le titre a donné son nom au recueil d’articles La pensée straight. La démonstration était limpide. C’était une évidence que je sentais dans mon corps, mon esprit et tout ce qui me constituait. Ça validait ce que je pensais. J’imagine que cela a pu résonner, résonne et résonnera pour d’autres personnes. Mais pas pour tout le monde.

Durant l’année 2023, j’ai contribué aux célébrations de l’œuvre de Monique Wittig organisées au Centre d’art et de recherches Bétonsalon avec Suzette Robichon et Mathilde Belouali à travers des séances mensuelles de lectures collectives des ouvrages de Monique Wittig. Il s’agissait concrètement de partager les livres et de lire ensemble. Cette phrase comme une formule peut paraître opaque et impressionnante. En relisant ou lisant le texte, dans le livre, en allant à la source, elle est finalement simple. Mais de 1978 à 2024, elle peut être écoutée, comprise, adoptée, rejetée, peu importe l’époque, il me semble que sa réception dépend de l’autodétermination de chaque personne qui la lit, selon les singularités de chacun·e.

 


« [Le] langage que tu parles est fait de mots qui te tuent » : cette affirmation que l’on trouve toujours dans Les Guérillères nous invite-t-elle à faire de l’écriture une force militante ?


Là aussi, tout dépend pour qui. Je dirais que chaque personne milite comme elle peut, comme elle veut. Le langage pour une personne qui écrit, c’est un outil qui peut permette l’émancipation donc en ce sens, oui, on peut y mettre une force militante.

La langue française étant très genrée, elle apparaît comme restrictive. C’est un endroit où la littérature de Monique Wittig élargit les perspectives. L’utilisation qu’elle fait du pronom On dans L’Opoponax, du Elles dans Les Guérillères, ses inventions graphiques dans Le Corps Lesbien (sur le Je (J/e) par exemple) en lien avec le sens du texte sont à la fois constitutives de la puissance de ses récits et permettent de montrer une grande liberté créatrice. Son œuvre amorce ainsi par la littérature une réflexion sur les particularités graphiques dont on peut imaginer qu’elle a permis (parmi d’autres) des développements dans les recherches typographiques comme celles de la collective Bye Bye Binary par exemple.


(Questionnaire par Simona Crippa/Propos recueillis par Johan Faerber)





Stéphanie Garzanti, Petite nature, Camourakis, février 2023, 112 pages, 18 euros


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