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Photo du rédacteurSandra Moussempès

Sandra Moussempès : « Chez Duras, j’aime cette approche organique de l'écriture, ce respect de la langue dans la langue»

Dernière mise à jour : 16 juil.


Sandra Moussempès (c) DR


En moins d’une trentaine d’années, de Sunny Girls à Fréquence Mulholland, Sandra Moussempès a réussi à s’imposer comme l’une des voix les plus remarquables de la poésie contemporaine. Une poésie à la voix singulière traversée de figures féminines spectrales qui ne sont pas sans évoquer les fantômes de Marguerite Duras. Collateral ne pouvait manquer d’évoquer avec la poétesse le rapport qu’elle entretient avec l’autrice de La Vie matérielle.


Comment avez-vous découvert Marguerite Duras ? Un livre ? Un film ? Une pièce de théâtre ? Ses entretiens ? Quel a été votre réaction après la « rencontre » avec cette écrivaine ?

 

Je l'ai découverte enfant. Ma mère et mon père en étaient fans. Je suis née en 1965 et enfant il y avait les livres du Duras qui traînaient. Mon père, prof au lycée Romain Rolland à Ivry sur Seine avait amené ses élèves voir India Song au cinéma j'étais allée avec eux, je devais avoir 12 ou 13 ans. Également à Londres j'étais souvent hébergée par la belle-soeur et éditrice de Syvlia Plath, Olwyn Hugues une amie de mon père qui adorait Duras qu'elle lisait bien sûr en français. C'est elle d'ailleurs qui m'a encouragée à écrire et relisait mes tous premiers manuscrits dans les années 90.

Moi-même je n'ai lu Duras que vers 25 ans. Comme pour Plath quand on est entouré de gens qui adorent un(e) auteurice on n’a pas forcément envie de le-la lire (surtout s'il s'agit de ses parents ou de l'entourage familial. Par ailleurs pour l'anecdote, j'étais en classe au Lycée Paul Bert à Paris, en 4ème (le collège n'existait pas à cette époque) avec la nièce de Marguerite Duras, qui jouait le rôle de la petite fille dans Nathalie Granger.

 

 

Pourriez-vous me citer : le livre, le personnage, la phrase de Duras qui vous ont le plus marqué.e ? Pourquoi ces choix ?

 

J'aurais pu dire La vie matérielle, lu et relu. Le livre que j'aime le moins d'elle est celui qui a eu le plus de succès L'Amant. Je vais choisir Écrire. J'aime cette approche organique de l'écriture, ce respect de la langue dans la langue. Une forme de déontologie du désir et du geste d'écriture. C'est un livre de chair, un livre vivant. J'ai la sensation d'une discussion avec l'intime dans ce livre. Comme si elle me parlait. J'aime aussi son art de décrire le quotidien cru. Il y a bien sûr la phrase centrale sur l'écriture qui sauve et tant de phrases que j'ai annotées, je choisirai cet amas de petites phrases qui n'en forment qu'une : "Dans la vie il arrive un moment, et je pense que c'est fatal, auquel on ne peut pas échapper, où tout est mis en doute : le mariage, les amis, surtout les amis du couple. Pas l'enfant. L'enfant n'est jamais mis en doute. Et ce doute grandit autour de soi. Ce doute il est seul, il est celui de la solitude. Il est né d'elle, de la solitude. On peut déjà nommer le mot. Je crois que beaucoup de gens ne pourraient pas supporter ça ce que je dis là, ils se sauveraient." (Écrire)

Pour sa façon organique encore de restituer des choses simples des choses auxquelles je peux m'identifier en tant que poétesse. Ce besoin qu'elle a de se retirer loin du monde pour écrire ou du moins en soi, cette intériorité qui est si peu valorisée par la société en général.

 

 

Qu’est-ce qui vous fascine le plus chez elle ? Sa langue hyperbolique, anaphorique, ses silences ? Ses sujets atemporels qui reflètent, comme la parole du mythe, la mémoire à la fois collective et individuelle du XXe siècle ?

 

C'est sa façon de n'être jamais tout à fait dans l'intellect, de rester dans l'organique. Quelque chose aussi de méditatif et de cinématographique. Je suis aussi fascinée par son histoire d'amour très complexe avec Yann Andrea. Son engagement total en écriture. Je suis moins sensible à ses articles sur des faits divers. J'aime avant tout, je crois, cette honnêteté ce regard distant sur la passion.

 

 

La « modernité » de son écriture, celle qu’elle a nommée dans les années 1980 « écriture courante », impatiente de s’exprimer, au plus près de l’intention orale et de l’inspiration créatrice a-t-elle inspirée votre œuvre ?

 

A vrai dire cette amie de mon père Olwyn Hugues, me disait parfois en relisant mes tous premiers manuscrits qu'il lui faisaient penser à Duras, pourtant j'écris de la poésie. Avec des formes diverses certes. Des dispositifs conceptuels, comme des installations écrites, des instants cinématographiques ou visuels retranscrits, des sensations de déjà-vu et des voix spirites mais dans mes courtes proses insérées il y a sans doute aussi quelque chose de l'ordre de la description du réel, sans fard, vue au-dessus avec une distance qui peut être éthérée ou féroce, sans jugement, un humour tacite. Cet au-delà de ce qui est donné à voir ou à entendre.  Ces fantômes. Donc même si j'ai lu Duras assez tardivement il y avait peut-être des réminiscences inconscientes aussi de l'enfance et de l'omniprésence des livres de Duras (comme ceux d'Artaud, de Kafka ou de Roussel) à la maison.

 

 

Duras encore ou on la confie à l’histoire littéraire ?

 

Duras est actuelle. Mis à part ses articles dans la presse sur des faits divers que je n'aimais pas, je me replonge dans certains livres de Duras comme La Vie Matérielle. Donc résolument Duras, encore.


(Questionnaire et propos recueillis par Simona Crippa)




Sandra Moussempès, Fréquence Mulholland, éditions MF, septembre 2023, 116 pages, 18 euros

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