top of page
Photo du rédacteurChristiane Chaulet Achour

Salah Ameziane : « Compte tenu des réalités du recrutement en études francophones, aucune tentative n’a été entreprise de notre part dans l’optique d’être recruté au niveau universitaire »


Salah Ameziane (c) DR


Professeur de Lettres certifié dans le secondaire, Salah Ameziane est Docteur es-Lettres. Ses recherches portaient sur la littérature algérienne de langue française. Sa thèse a été éditée sous le titre : Romans algériens au présent – Ecrire au tournant du XXe et XXIe siècles. Il a accepté de partager ses remarques sur la place des littératures en français hors de l’hexagone à l’université et, plus largement, dans l’enseignement.


Vous avez mené vos recherches pour vos diplômes (du master à la thèse) sur des corpus de textes qui ne sont pas vus, dans l'université française, comme essentiels et légitimes au point d'avoir droit de cité plein et entier. Pourriez-vous rappeler tout d'abord le titre, le contenu résumé et la date de soutenance de votre thèse. Puis vos essais pour être recruté.e dans une université.

 

Notre recherche, intitulée Romans algériens au tournant des XXe et XXIe siècles, propose une réflexion sur la littérature romanesque de langue française, publiée au tournant des années 1990 et 2000 conjointement, et conséquemment, au basculement de l’Algérie dans la violence suite à la crise politique de 1992. Soutenu le 12 décembre 2014 à l’université de Cergy-Pontoise, ce travail tente également de montrer ce que l’expérience francophone – au sens extensif – peut nous enseigner au présent.

 

Compte tenu des réalités du recrutement limité, voire inexistant, notamment en études francophones, aucune tentative n’a été entreprise de notre part dans l’optique d’être recruté au niveau universitaire.  

 

 

Quelle est votre position par rapport  à cette situation de marginalisation ?

 

Regrettable, la marginalisation structurelle des auteurs et des littératures francophones dites du Sud s’inscrit dans la traditionnelle position post-coloniale française : hésitante, indécise, intéressée. Cette exclusion qui ne dit pas son nom pourrait s’expliquer par deux points inséparables : un manque de volonté politique et des  considérations historico-politiques conjoncturelles.

Les littératures francophones sont associées aux anciennes colonies et aux immigrations du Sud, frappées par un préjugé négatif bien établi : souvent, l’évocation de ces corpus fait resurgir l’épineuse question coloniale et le déséquilibre Nord-Sud que l’on s’efforce d’évacuer. Depuis les années 2000, marquées par des antagonismes stériles, accentués par de nouveaux tournants idéologiques, un sentiment de repli s’est réinstallé en France. Malgré toute la bonne volonté cultivée par les universitaires et quelques avancées notoires au niveau sociétale, le climat politique a continué à travailler l’esprit de ce début de siècle. Un sentiment de suspicion est né, grandit de manière invisible, insidieuse. Faut-il rappeler, à titre d’exemple, la triste phrase – « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » – prononcé par un président de la République ?

C’est dans le cadre de ces crispations que s’inscrit également la polémique qui a entouré la sortie de l’essai Aristote au mont Saint-Michel, publié en 2008, par Sylvain Gouguenheim. Ce livre tente de minimiser l’apport de la civilisation arabo-musulmane à la Renaissance européenne à la fin de la période médiévale. Par la plume de son chroniqueur, Roger-Pol Droit, Le Monde des livres voit dans cet ouvrage, ponctué pourtant par des développements douteux, une « étonnante rectification des préjugés de l'heure [ :] la culture européenne [...] ne devrait pas grand-chose à l'islam.»

Loin d’être anecdotique, ce genre d’incidents répétés crée peu à peu une atmosphère qui alimente la méfiance, et désavantage la circulation et le transfert des savoirs et des idées, la rencontre des cultures et des imaginaires. Or, les littératures francophones, bien qu’elles soient animées par un effort « déconstructif » des doxas dominantes, ne s’engagent pas dans une logique d’affrontement, mais dans l’avènement de nouvelles philosophies de métissage (Edward Saïd), d’un vœu d’un « homme nouveau » (Frantz Fanon), ou d’une approche plus globale et assainie de l’Histoire – comme en témoigne l’œuvre romanesque d’Anouar Benmalek.

Parallèlement à la conjoncture politico-sécuritaire des années 2010/2020, le champ des francophonies semble se réduire encore au niveau académique malgré la persistance de ces littératures sur le plan éditorial (qui reste problématique, donc soumis plus fortement aux contraintes commerciales). Il y a deux ans, la ministre de l’enseignement supérieur d’alors, Frédéric Vidal, succombe à la fièvre médiatico-politique autour d’un concept sournois – l’islamo-gauchisme – et tente d’instruire une enquête intimidante qui ne donne aucun résultat – si ce n’est celui de cautionner, d’appuyer la tentation réactionnaire de plus en plus présente.

Ainsi, à côté de la bonne conscienceˮ politicienne affichée partout quant à la diffusion de la production culturelle en langue française, la réalité du terrain académique indique le contraire : en 2016, plusieurs postes de littérature francophone ont été supprimés dans de nombreux centres universitaires pendant que le prestigieux Collège de France invitait un écrivain francophone de renommée internationale, Alain Mabanckou – probablement pour afficher une image d’ouverture.

Isolées des littératures comparées (par le classement des habilitations), donc amoindries et peu dotées, les études francophones restent « le parent pauvre » des études littéraires françaises : elles sont les premières à pâtir des hésitations politico-académiques.

 

La lancée enregistrée durant les années 1980/1990 n’aurait été qu’une phase circonscrite accompagnant un mouvement global venu notamment des États-Unis d’Amérique.

 

Dans votre activité professionnelle actuelle, que faites-vous de tout ce travail de recherche et de découverte

 

Dans nos enseignements actuels (au lycée, puis au collège), notre travail de recherche n’intervient pas de manière directe, il revient plutôt à travers des conseils de lectures ou des extraits de corpus estimés accessibles et révélateurs, en phase avec les objectifs des cours dispensés. Il est à signaler que depuis quelques années, les manuels scolaires de lettres ont accordé une petite place aux littératures francophones issues d’autres sphères géographiques que la France hexagonale – ce qui est salutaire. Au-delà de l’ouverture sur le monde, cette inclusion peut jouer un rôle instructeur tant bien sur le plan linguistique qu’historico-culturel.

Ainsi, pour la séquence « Les écritures de soi », il existe un grand gisement de textes francophones traitant de l’enfance coloniale comme épreuve formatrice. Il peut être étudié dans diverses analyses comparatistes. Avec des élèves de 3ème, nous avons réussi à établir des liens littéraires et historiques entre un extrait du Fils du pauvre de Mouloud Feraoun et un texte-enquête, Ne réveille pas les enfants, publié en 2023 par la journaliste du Monde, Ariane Chemin (dans le récit, la reporter établirait un lien entre la fin tragique de Feraoun, assassiné en 1962 par l’OAS, et le suicide collectif/familiale, en Suisse, en 2022, de deux jumelles, nièces de Feraoun. Dans un travers investigateur, Chemin s’interroge sur la transmission intergénérationnelle – parfois inconsciente – des traumatismes familiaux.

Dans l’objet d’étude « Agir sur le monde/vivre en société », nous nous sommes appuyés sur un extrait du roman Au commencement était la mer (1996) de Maïssa Bey pour découvrir la figure d’Antigone.

L’autre acquis à transmettre, c’est que les langues « n’appartiennent pas » : elles sont vivantes, mouvantes, en évolution constante ici comme ailleurs, et donc « appropriables » à volonté. La langue raconte l’histoire des hommes, l’histoire d’hommes qui se rencontrent. Elle raconte l’Histoire. Elle est outil de communication, instrument de création et matière de transmission.





Salah Ameziane, Romans algériens au tournant des XXe et XXIe siècles, Préface de Christiane Chaulet Achour, Arcidosso, Effigi Edizione, Humana Scientia · Littératures Cultures Sociétés, 2023, 416 pages, 21,80 euros

Posts similaires

Voir tout

Commentaires


Les commentaires ont été désactivés.
bottom of page