Le 4 décembre 2024, à Paris 18e à côté de la plaque portant l’appellation « Rue de Laghouat », dans le quartier où ont été groupés des noms de « campagnes d’Algérie », apposée le 28 août 1864 pour commémorer la prise sanglante de Laghouat, ma ville natale, sera apposée une plaque commémorative et explicative. Cette plaque vient replacer enfin ce « brillant fait d’arme » dans son véritable contexte, celui de la colonisation brutale de l’Algérie, et révéler sa vraie nature : un crime de guerre commis contre une population désarmée.
Une reconnaissance tardive mais nécessaire
Cette reconnaissance intervient quatre ans après une pétition que j’ai lancée sur Internet en Algérie en 2020 sous le titre « Pour la restitution des "trophées" de Laghouat pris par l’armée française », qui avait recueilli des centaines de signatures. Pétition suivie d’une lettre ouverte adressée en 2022 à M. Abdelmadjid Chikhi, ex-Directeur général du Centre national des Archives algérienne et Conseiller du Président chargé de la mémoire nationale, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance et du 170e anniversaire de la prise de la ville de Laghouat. Lettre restée sans réponse tout comme celle adressée quelques temps après à M. Emanuel Macron, Président de la République française.
En 2023, à l’initiative de Mina Kaci, journaliste et écrivaine, Sandrine-Malika Charlemagne, vidéaste, comédienne et écrivaine et Pierre Mansat, militant politique et associatif, un Comité Laghouat-France est créé en date du 4 février 2023 afin de relayer ma démarche en se fixant pour objectif de faire connaître ce crime de guerre, d’obtenir la restitution de la clé et des étendards à la ville de Laghouat et de faire apposer une plaque commémorative et explicative rue de Laghouat.
Des intellectuels montent au créneau
Le 6 février 2023, un collectif d’historiens et de militants dont Benjamin Stora et Lilian Thuram signe une tribune dans le journal Le Monde demandant « la restitution par la France des étendards des résistants et une clé de la ville algérienne dont l’armée coloniale française massacra plus des deux tiers des habitants, en 1852 », pour renforcer les « liens de solidarité entre les peuples algérien et français ».
Soutenu par de nombreux intellectuels et par le Groupe communiste et citoyen du Conseil de Paris un vœu relatif à la reconnaissance officielle du massacre de la population de la ville de Laghouat en Algérie en 1852 est déposé au Conseil de Paris par Nicolas Bonnet Oulaldj, Raphaëlle Primet et les élu·e·s du Groupe communiste et citoyen et adopté le et le 17 mars 2023.
Rappel des faits
Il y a 172 ans, le 4 décembre 1852, un siècle avant ma naissance, Laghouat, ma ville natale, après des semaines de siège sous ses remparts, était prise d’assaut par une armada de 6000 soldats de l’élite de l’armée française, aguerris et surarmés, conduits par les généraux criminels de guerre Pélissier, Yusuf et Bouscaren de sinistre mémoire. En dépit de l’héroïque résistance de quelques centaines d’hommes munis d’armes de fortune sous la conduite du valeureux Benacer Benchohra et ses trois lieutenants, ses habitants furent massacrés par le feu et le fer.
Près de 3000 habitants sur environ 4000 âmes, selon le rapport fait « à tête reposée » par Pélissier lui-même, femmes, enfants et vieillards, juifs et musulmans qui vivaient là, côte à côte, en parfaite harmonie, depuis des siècles, périrent ce jour-là.
Les 500 survivants, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards, furent traités comme des bêtes, emmenés deux fois par jour à l’oued pour s’abreuver, maintenus en vie grâce à un biscuit sec par jour.
Le gouverneur général Randon, dans une lettre adressée à son ministre de la guerre, exprime en ces termes sa satisfaction : « L’Empire vient d’être proclamé à Laghouat par une brillante victoire. Je vous envoie, sans perdre un seul instant, le rapport émouvant de M. le général Pélissier sur ce brillant fait d’armes. Je n’attendais pas moins de mes braves bataillons, du courage et de l’intrépidité de leurs chefs, de la valeur de mes généraux, enfin de la vigueur et de la haute intelligence de M. le général Pélissier. » Tous furent décorés, officiers, sous- officiers et soldats pour ce « brillant fait d’arme ».
Pélissier ordonna ensuite à ses soudards non seulement de détruire à la dynamite tout le ksar, d’abattre les milliers de palmiers et d’arbres fruitiers qui faisaient de Laghouat l’une des plus belles et des plus prospères oasis du sud algérien, mais d’en disperser les derniers survivants dans les monts de l’Atlas Saharien.
Pélissier ordonna aussi à ses soldats assoiffés de sang et ivres de vengeance après les pertes subies dans leurs rangs, d’enfermer une quarantaine de prisonniers dont une femme dans des sacs de jute et de les brûler vifs pour donner l’exemple aux populations du Sahara et les dissuader de toute velléité de résistance ou de soulèvement.
La ville assassinée ou l’année de l’anéantissement
Arrivé six mois après le massacre, en juin 1853, l’artiste-peintre et écrivain rochelais Eugène Fromentin nous a légué, en plus de ses peintures, un livre témoignage important sous le titre Un été dans le Sahara où il parle de ville assassinée, en italique dans le texte.
Voici ce qu’il écrit le 3 juin 1853, au soir : « L’aspect même de la ville, le silence des rues, l’air d’abandon des maisons, la solitude des marchés, je ne sais quoi de menaçant encore et de sombre vous avertit que ce lieu vient d’être le théâtre d’événements terribles, et même aux endroits les moins maltraités tout indique une ville à moitié morte, - et de mort violente ; - j’allais dire assassinée.»
Ce jour funeste est passé dans la mémoire populaire des habitants de Laghouat, à ce jour, sous l’appellation de « ‘Am el-Khalia » ou l’année de l’anéantissement.
Lazhari LABTER, *Laghouat, la ville assassinée ou le Pont de vue de Fromentin, Alger, 2018
*Laghouat vue par chroniqueurs, écrivains, peintres, voyageurs, explorateurs et conquérants, Alger, 2021.
*Liste des signataires de la tribune du Monde : Nils Andersson, éditeur - Jean Asselmeyer, cinéaste - Marie-Laurence Attias, productrice - Eienne Balibar, philosophe - Khadicha Bariha, monteuse - Jean-Pierre Bastid, cinéaste - Ali Benatallah, écrivain, militant politique indépendant - Jean-Denis Bonan, cinéaste - Mustapha Boutadjine, artiste - Sylvie Braibant, autrice - Sandrine-Malika Charlemagne, écrivaine - Francis Combes, éditeur - Monique Dental, militante féministe - Bernard Deschamps, ancien député - Serge Garde, journaliste - Khaled Ghorbal, cinéaste - Ahmed GHOUATI, universitaire - Gérard Halie, responsable du Mouvement de la Paix - Mina Kaci, journaliste - Rachid Koraïchi, peintre - Lazhari Labter, journaliste-écrivain - Christophe Lafaye, historien - Pierre Mansat, militant associatif - Samia Messaoudi, responsable de l'association Au nom de la mémoire - Paul Morin, politiste - Nezzal, représentante du prix littéraire Fetkann Maryse Condé en Algérie - Jacques Pradel, Association Nationale des Pieds-Noirs Progressistes et leurs Amis- Alain Ruscio, historien - François Sauter, coprésident du MRAP - Dominique Sopo, président de SOS Racisme - Michel Sportisse, historien du cinéma - Benjamin Stora, historien - Lilian Thuram, président de la Fondation pour l'éducation contre le racisme- Jean Vendart, soldat du refus - Cedric Villani, mathématicien - Arnaud Viviant, critique littéraire - Hassane Zerrouky, journaliste.