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Nane Beauregard : « Je ne sais pas ce qu’il en serait d’un monde sans Duras aujourd’hui »

Dernière mise à jour : 16 juil.



Nane Beauregard (c) DR


Nane Beauregard vit et travaille à Paris. Elle a publié un roman, J'aime chez POL en 2006 puis La Manouba chez Leo Scheer en 2012, dernier roman paru fin mars 2024 aux Éditions Maurice Nadeau, Balle perdue.


Comment avez-vous découvert Marguerite Duras ? Un livre ? Un film ? Une pièce de théâtre ? Ses entretiens ? Quel a été votre réaction après la « rencontre » avec cette écrivaine ?

 

J’ai mis longtemps, très longtemps, à la rencontrer parce que Duras, ça ne se donne pas, ça se mérite. 

Il m’a fallu le temps de sortir de mes propres limbes pour accéder à son monde, à la puissance de ce qu’elle était capable d’écrire, de ce qu’elle était capable de s’autoriser à laisser advenir en elle et qu’elle offrait, telle une pythie, à un public qui ne se rendait pas forcément compte du lieu d’où elle parvenait à parler et de ce qu’elle donnait ou, au contraire que cela terrorisait que l’on puisse aller aussi loin en soi dans, par et pour l’écriture. 

 

 

Pourriez-vous me citer : le livre, le personnage, la phrase de Duras qui vous ont le plus marqué.e ? Pourquoi ces choix ?

 

Un livre d’elle qui m’a profondément bouleversée, auquel il m’arrive souvent de penser, c’est un livre que j’ai lu assez tôt après avoir commencé à découvrir son œuvre, il s’agit de L’homme assis dans le couloir. Un texte très court, très intense, un texte fort et violent qui dit tout, tout ce que l’on peut dire sur le sexe et sur le désir et plus encore, bien plus encore sur la vie, sur le vivant. Et en même temps, un texte presque abstrait dans mon souvenir. A la fois très cru et très abstrait comme on le dirait d’une peinture.

Depuis, je n’ai jamais rien trouvé d’équivalent nulle part, chez aucun autre auteur, aucun film, rien. Rien d’autre n’a pu être dit sur ce qui ne passe pas par les mots sauf quand on s’appelle Duras et que l’on peut aller n’importe où se promener où on veut dans les coins et les recoins les plus reculés de l’inconscient.

 

 

Qu’est-ce qui vous fascine le plus chez elle ? Sa langue hyperbolique, anaphorique, ses silences ? Ses sujets atemporels qui reflètent, comme la parole du mythe, la mémoire à la fois collective et individuelle du XXe siècle ?

 

Ce qui me fascine chez elle c’est qu’elle est d’ici et qu’elle est d’ailleurs et de n’importe où, en fait, qu’elle est de maintenant et qu’elle est de toujours et aussi de jamais, qu’elle est vivante et qu’elle est morte en même temps et qu’elle l’a toujours été. 

Ce qui me fascine chez elle, c’est elle, elle comme instrument d’elle-même et de son travail. 

 

 

La « modernité » de son écriture, celle qu’elle a nommée dans les années 1980 « écriture courante », impatiente de s’exprimer, au plus près de l’intention orale et de l’inspiration créatrice a-t-elle inspirée votre œuvre ?

 

Ce qui m’a aidée dans mon propre travail d’écriture mais plus largement dans ma vie, c’est la courte-échelle qu’elle m’a faite en écrivant ce qu’elle a écrit, que j’ai eu la chance incroyable de lire un jour et de relire sans comprendre l’importance que cela avait et que j’ai été capable de saisir malgré tout un jour par miracle. Le jour où grâce à elle j’ai compris que l’on écrit d’un lieu, à partir d’un lieu qui est un non-lieu, qui est surtout une sorte de trou sans fond, dont seule l’écriture, seuls les mots, seuls les lettres qui composent les mots, sont un tant soit peu capables de nous tenir à distance.

 

 

Duras encore ou on la confie à l’histoire littéraire ?

 

Je ne sais pas ce qu’il en serait d’un monde sans Duras aujourd’hui et n’importe quand, aussi bien et en vérité je préfère ne pas le savoir.


(Questionnaire et propos recueillis par Simona Crippa)




Nane Beauregard, Balle perdue, Maurice Nadeau, mars 2024, 159 pages, 19 euros

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