S’interroger sur l’écopoétique au contemporain, c’est proposer d’élargir le spectre du sensible et sensibiliser notamment aux enjeux écologiques. C’est ce que propose de faire La Maison des écrivains et de la littérature avec l’action, Par nature, des ateliers avec le vivant. Pour Collateral, sa directrice, Sylvie Gouttebaron a interrogé les écrivains engagés dans lesdits ateliers. Nouvel auteur à se prêter au jeu du questionnaire, Mathieu Simonet met en lumière les ateliers qu'il anime en lycée pour mettre en œuvre ce qu’il nomme « le droit des nuages ».
Vous avez répondu favorablement à l'invitation de la Maison des écrivains et de la littérature de participer à l'action imaginée Par nature, des ateliers littéraires avec le vivant. En quoi cette proposition d'une action conduite, pour l'Île-de-France, avec le Muséum National d'Histoire Naturelle était importante pour vous ?
Je crois qu’il est important que tout le monde se sente légitime à écrire. L’écriture c’est quelque chose de vivant, de concret, qui nous relie, comme la musique ou la danse. C’est pourquoi, j’ai tout de suite été séduit par l’idée d’un atelier littéraire avec le « vivant ». J’ai imaginé quelque chose qui ne viendrait pas de l’esprit mais de la terre. Qui serait à portée de main. Qu’il faudrait écouter. Car la littérature c’est d’abord et avant tout une manière d’écouter le réel. Comme la pulsation d’un cœur. C’est un exercice infime qui peut parfois être vital.
Fait-elle écho à votre travail en cours ou à venir ?
Oui. Depuis dix ans, je m’intéresse au droit des nuages, sous une forme poétique. Aujourd’hui, de nombreuses expérimentations visent à manipuler les nuages pour des raisons plus ou moins vertueuses : lutter contre la sécheresse, obtenir la garantie d’un beau ciel bleu avant les J.O. ou transformer les nuages en armes de guerre (comme cela s’est fait pendant la guerre du Vietnam). Paradoxalement, le droit des nuages est quasiment vierge. Chaque pays peut donc faire ce qu’il souhaite sur ceux qui survolent son territoire. En tant qu’ancien avocat, j’ai voulu créer une action poético-politique : tous les 29 mars, j’invite ceux qui le souhaitent à s’allonger sur l’herbe pour regarder les nuages et écrire ce qu’ils voient. Je considère que tous ces textes constituent un remake de pétition qui nous rend légitimes à contacter des organisations internationales telles que l’ONU ou l’UNESCO pour leur demander la création d’un droit des nuages. Depuis 2022, plus de 2000 personnes ont participé à ce projet qui commence à avoir un impact concret auprès de juristes et d’élus.
Quelles formes prennent les ateliers que vous conduisez avec les élèves ?
Je souhaite les sensibiliser à la Journée internationale des nuages qui sera le fil rouge de ces ateliers. Je veux leur faire écrire des textes individuels, avec une dimension poétique et politique, mais aussi les faire participer à un « débat en mouvement », les inviter à écrire à un inconnu à l’autre bout du monde, participer à une lecture chorale, réfléchir collectivement à la rédaction d’un paragraphe qui pourrait (au moins en théorie) s’intégrer dans le règlement de leur lycée, et ce pour initier une protection des nuages au sein de leur établissement. La forme de ces ateliers se co-construira évidemment avec leur enseignante. Et avec eux. J’aime être le premier surpris par ce qui va se passer.
Ce souci de favoriser l'expression littéraire et de faire de la littérature une "science naturelle du langage" a-t-il une chance de développer le vocabulaire en précisant le sens de ce qui est à décrire ou énoncer ?
Je dis souvent que je suis dans la « maîtrise » en tant qu’ancien avocat et dans « l’abandon » en tant qu’écrivain. Je crois que ces deux approches sont complémentaires. Elles m’ont toujours permis de développer mon vocabulaire (ou plus exactement mon « discours ») en tant que juriste et en tant qu’écrivain. La liberté de la littérature, la précision d’un argumentaire ne sont pas deux champs étanches mais deux langues qui ne demandent qu’à se mêler dans le cadre d’expérimentations, de jeux littéraires, de réflexions citoyennes. Il faut, je crois, avoir une double approche, d’abord sensible (dans tous les domaines, y compris les plus sérieux) puis réflexive, et ce même s’il est parfois difficile de passer d’un monde à l’autre. C’est un peu comme être réveillé au milieu d’un rêve : ce n’est pas toujours une expérience agréable mais cela nous donne accès à des images incroyables.
Que désirez-vous transmettre aux élèves qui travaillent avec vous, dans un tel contexte ?
J’aimerais d’abord leur transmettre le sentiment qu’ils sont légitimes à écrire. Ensuite, j’aimerais leur montrer que la littérature est un terrain de jeu ludique, créateur de liens et d’émotions. Enfin, je souhaite leur démontrer que la poésie a un impact réel sur le monde. Dans l’idéal, après le dernier atelier, je rêve qu’ils deviennent des ambassadeurs de la Journée internationale des nuages, qu’ils puissent adopter une approche sensible et réflexive auprès de leurs parents, de leurs enseignants. Et que dans dix ans, si le droit des nuages se développe comme je l’espère, ils se souviendront qu’ils en ont été, avec d’autres, des artisans.
Est-ce vous définiriez votre travail comme un travail écopoétique, et si oui, pour quelles raisons ?
Habituellement, je n’utilise pas cet adjectif pour décrire mon travail. Pour autant, je me reconnais tout à fait dans ce terme. Depuis trois ans, j’anime un atelier d’écriture à l’École Normale Supérieure avec la climatologue Aglaé Jézéquel. J’interviens également à Sciences Po dans le cadre d’un atelier poético-politique sur les nuages. Tous les étudiants qui suivent ces ateliers sont notamment invités à participer à une des « Nocturnes » du Louvre pour commenter des tableaux avec une triple approche : esthétique, écologique et littéraire. Je crois que l’écologie a besoin, pour être incarnée, d’émotions et de rigueur. Tout travail écopoétique favorise cette approche. La poésie, plus que jamais, doit être au cœur de la politique et du langage, y compris dans des domaines techniques tels que le droit, les mathématiques ou les sciences naturelles !
Mathieu Simonet dispense sur ses ateliers sur le vivant au lycée Jean Monnet, en classe de 2nde à La Queue-les-Yvelines
Dernier livre paru : La Fin des nuages, Julliard, septembre 2023, 208 pages, 20 euros