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Photo du rédacteurCécile Vallée

Léonora Miano : « C’est de moi-même à présent que je veux être à la hauteur » (Les aventures de la foufoune)




Publié aux éditions The Quilombo Publishing de Lomé en 2021, ce recueil, ancré dans les sociétés subsahariennes, est composé d’un conte étiologique, d’un apologue et de récits à la première personne dont le dernier, La foufoune not so in love ces jours-ci, a été adapté au théâtre. Le langage est également hybride : familier, plurilingue – certains chapitres ont un glossaire – mais aussi précis et percutant. Léonora Miano n’écrit pas seulement pour divertir, elle écrit pour se battre contre les stéréotypes patriarcaux et postcoloniaux. Elle démontre, avec talent, que l’on peut déconstruire sans être caricaturale ou extrémiste comme l’affirment ceux qui se complaisent dans des représentations archaïques. 



Eloge d’une sexualité féminine libérée


Les titres des chapitres annoncent métaphoriquement les différents angles d’analyse de la sexualité féminine. La première aventure est celle de la « foufoune des premiers temps, avant le commencement ». Mangamba, « l’océan primordial », crée le monde en se masturbant :

« Suivant une inspiration connue d’elle seule, la déesse ouvrit les jambes, glissa une main, la gauche, entre ses cuisses monumentales. Se caressant la vulve, l’Être suprême se fit jouir. L’abondance de son plaisir créa fleuves, rivières et lacs. Ainsi naquit la vie. Au commencement était la Fente, et la Fente était divine. »


Elle a pour descendantes des femmes qui connaissent leur corps, qui lui accordent une place centrale : 

« La peau, le corps, le sexe, seraient donc, pour une catégorie de femmes, les territoires aussi bien que les outils de leurs initiations. Ce serait par ces voies, par ces moyens, qu’elles connaîtraient et comprendraient, qu’elles s’élèveraient. Chaque génération de ces femmes donnerait naissance à des guides qui prendraient la parole afin de révéler à leurs sœurs les multiples usages de l’érotisme ».


Plusieurs narratrices des chapitres suivants en sont les représentantes. Celle de la « foufoune au bois dormant » raconte son réveil au passage de la quarantaine, « enfourchant [s]a vie telle une Harley, [elle s’] élanc[e] à l’assaut de nouveaux défis » pour « conquérir l’amour version torride ». Elle mène une vie sexuelle libre et épanouie qui s’accorde avec sa relation amoureuse avec son « mec majuscule ». Alors qu’on voudrait la faire entrer dans la catégorie des « foufounes fanées », la narratrice du chapitre « la foufoune amoureuse mais voilà, il n’était pas né quand Thriller est sorti et ce n’est pas tout… », prouve que le désir sexuel féminin ne disparaît pas à la ménopause. La « foufoune du grand large », quant à elle, raconte comment elle découvre le monde, l’Autre à travers les relations sexuelles : « Je suis venue au monde pour connaître le monde. Ma vulve est mon gouvernail, le corps des hommes, le vaste territoire que je ne me lasse pas d’arpenter. » 


Cependant, il n’est pas si simple de suivre la voie de la « Mangamba ».



Dénoncer les vestiges du patriarcat et du postcolonialisme


Léonora Miano démontre que la sexualité ne relève pas seulement de l’intime, particulièrement pour l’hétérosexualité, marquée par le discours social et politique qui reste ancré dans une représentation patriarcale : « Les femmes, comme la terre, sont le patrimoine des mâles. C’est à ce titre qu’elles sont ravagées. C’est à ce titre qu’elles sont mises au rebut. »

L’autrice propose des analyses du déséquilibre dans le rapport au corps et à la sexualité entre les hommes et les femmes dans les sociétés subsahariennes, qui ont des points communs avec les sociétés occidentales. L’écart d’âge, par exemple, est encore valorisant pour un homme dont la compagne est plus jeune alors que « les déjà vieilles et les vieilles confirmées dont la chatte est vivante sont des sorcières. Ce sont des diablesses. Seul le diable peut planter le désir de forniquer dans des corps devenus stériles. »

Elle démontre, au fil des chapitres, que ces représentations ne sont pas uniquement véhiculées et défendues par les hommes. Les femmes ont aussi une responsabilité dans leur établissement et leur pérennisation : « c’est entre femmes que s’administre la correction », « c’est une femme qui tranche le clitoris ». Ce sont aussi des femmes qui maintiennent la chappe de plomb sur les violences sexuelles : « La société patriarcale, qui se porte à merveille au sud du Sahara post-colonial, est avant tout gynécidaire. C’est dire que ce système est en guerre contre le féminin tel qu’il l’a pourtant conçu. » 

Comme l’avait expliqué Olympe de Gouges à ses contemporaines, Léonora Miano rappelle que les femmes ne doivent pas se contenter du pouvoir obtenu par les armes accordées par le patriarcat. Si la femme peut être la « clé du pouvoir » masculin et qu’« on peut se raconter qu’une clé, c’est essentiel », une clé « ça se rouille. Ça se perd » et ça se remplace. 

Les femmes noires sont, de plus, racialisées, même dans leur sexualité. La foufoune de cinquante ans analyse ainsi le regard porté sur le couple qu’elle forme avec un jeune homme blanc :

« Il n’est pas admissible qu’un homme blanc, dans la fleur de l’âge et en pleine possession de tous ses moyens, promène à son bras une antiquité africaine. C’est au-delà de la culpabilité coloniale. C’est de la haine de soi, un attentat contre la civilisation. »

Elle ne veut pas pour autant être « la panthère exhibée par Tarzan, la bonne conscience de l’héritier du rapt et des rapines ou de l’impérialiste de gauche, la planche de salut de celui qui, souffrant de culpabilité coloniale, s’apaise au contact d’une damnée de la terre. »

En revanche, les femmes blanches qui « colonisent les plages des pays du Sud pour se payer des queues noires vigoureuses », un « sextoy en fibre naturelle », ne se posent même pas la question de ce qu’elles véhiculent, dans leur bonne conscience féministe. 

La narratrice du dernier chapitre se demande si la solution ne résiderait pas dans une sexualité communautariste :  

« Pour moi, pour ceux qui, comme moi, portent sur le corps la marque du continent méprisé, la révolution est dans l’amour de soi, dans l’amour du plus proche. »


Elle restreint finalement ce programme révolutionnaire à l’amour de soi en tant que femme noire.



 « Parfois je rêve d’un monde où les femmes, aimant être des femmes, aimeraient les autres femmes… ce serait plus puissant que la plus affûtée des doctrines politiques. »


L’autrice nous invite à ne pas cacher le substrat patriarcal plus ou moins résiduel pour mieux s’en débarrasser :  

« Je prends tout sur moi. Ni toi ni aucun de ceux qui t’ont précédé n’aviez le pouvoir de me faire perdre la tête. Vous n’avez fait que bénéficier de la rente accumulée par les hommes un siècle après l’autre. Un capital constitué en donnant aux femmes l’obsession de l’amour. Pas celui d’elles-mêmes. »


Il n’est pas question de se poser en victime mais de s’affranchir en tant que femme, de faire ses propres choix comme celui de ne pas avoir d’enfants, de ne pas vivre en couple. Le combat sera universellement gagné quand les femmes accepteront et feront accepter leur corps tel qu’il est :

« Si vieillir sans tralala exige de nos contemporaines tant d’efforts, c’est à cause des vérités tues, de tous les mensonges cultivés […] quand les femmes franchiront ce cap, elles n’auront plus à protester, militer, lutter. Ça voudra dire qu’elles ont triomphé de tout. »





Léonora Miano, Les aventures de la foufoune, Seuil, octobre 2024, 168 pages, 17 euros


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