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Les mots de ma mère : Clouque & Coufidou

  • Photo du rédacteur: Marie-Odile André
    Marie-Odile André
  • il y a 6 jours
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 jours



Entrée de la vieille ville de Palmanova (TS) (c) Collateral
Entrée de la vieille ville de Palmanova (TS) (c) Collateral


Clouque



« Je suis clouque ». C’est par ce constat accablé que ma mère fait part de son état. De la vision altérée, dégradée qu’elle a d’elle-même maintenant qu’elle vieillit. La formule résume tout, évite tout développement inutile, toute explication plus détaillée des mille maux qu’elle ressent et du profond découragement qu’elle éprouve.

« Clouque », comme est clouque un fruit : trop mûr, déjà passé, en train de s’amollir, se ratatiner et se dégrader à la fois, menaçant soudain de pourrir. Le fruit devient vite clouque quand il a dépassé son point optimal de maturité, qu’il est déjà en train de perdre sa belle apparence et, surtout, son goût et sa délicate saveur. 

La poire, plus que tout autre fruit, mérite ce qualificatif parce qu’elle associe à sa propre dégradation un incomparable pouvoir de traîtrise : intacte dans son apparence extérieure, la poire outrepasse en quelques heures sa propre maturité pourtant longuement et patiemment attendue et s’altère d’un coup à l’intérieur, sa chair devenue soudainement molle, blette, insipide, son goût si subtil réduit à une fadeur écœurante et inutilement sucrée.

Clouque, un même mot pour dire l’inexpiable malhonnêteté de la poire et l’insidieuse dégradation de son propre corps.







Coufidou




« Coufidou » est un mot clé de la cuisine méridionale et maternelle. À travers lui, on touche au secret et au pur délice de ce qui a longtemps mijoté, qui se défait et fond dans la bouche en un délicieux mélange de saveurs subtilement mêlées.

C’est le ragoût longuement mitonné où s’expriment tous les sucs de la viande mélangés au parfum raffiné des légumes ; c’est le fondant incomparable de la chichoumé longuement laissée sur le feu ; ce sont les aubergines à la poêle, bien « coufides », auxquelles une savante et patiente cuisson confère la texture et la couleur pourtant inimitables du cèpe.

« Coufidou » dit la patience à toute épreuve de la cuisinière, une patience que ma mère, pourtant, est bien loin d’avoir. Elle dit surtout le plaisir anticipé de la gourmande pour qui la texture fondante d’un mets dans la bouche a un avant-goût, même éphémère, de paradis.

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