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Photo du rédacteurJohan Faerber

La Revue des Belles-Lettres : “Fonder une revue, c’est indubitablement un geste politique : une forme de militance, à bas bruit”




Sans doute l’une des plus anciennes et des plus vives revues françaises, La Revue des Belles-Lettres, présente au Salon de la Revue, a accepté de répondre aux questions de Collateral. L’occasion de mesurer à quel point, depuis 1836, elle a su défendre une puissante vision de la littérature, notamment contemporaine. 



Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ?


La Revue de Belles-Lettres (RBL) est parue pour la première fois en 1836. Son nom provient de la Société d’étudiants éponyme, fondée en 1806. Voici un extrait de l’avant-propos de ce numéro initial : « Il est une société dans laquelle se rassemble un petit nombre de jeunes amis ; – là, sans prétention aucune, chacun vient à son tour apporter le résultat de ses études et soumettre à une critique impartiale ses premiers essais littéraires. » 

Les rédacteurs de ce premier numéro étaient de lycéens de 16, 17 ans. Les essais littéraires dont il est question consistent en des poèmes et des traductions (Sénèque, Shakespeare), de la plume de ces lycéens, qui s’essayaient à la création poétique et à la traduction. La revue avait également comme fonction d’être un organe de communication au sein de la communauté de lycéens et de futurs étudiants à l’université.

La Revue de Belles-Lettres fut donc créée pour être un espace de travail et d’échange, de formation aussi pour ceux qui envisageait devenir écrivain, traducteur et professeur, c’est-à-dire à œuvrer dans le monde des lettres.

Ce premier numéro marqua un faux départ de la RBL, puisqu’il n’y eut pas immédiatement une suite. C’est seulement à partir des 1860 que la revue paraît régulièrement, sous la conduite d’étudiants membres de la Société de Belles-Lettres. Depuis, la revue de nombreuses vies. C’est en 1960 seulement qu’elle connut son premier comité de rédaction fixe.

 


Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?


Bien que ce premier comité fixe, composé essentiellement de poètes, ait été mis en place il y plus de 60 ans, la RBL n’est pas devenue une revue de manifeste, d’école, de chapelle ou d’allégeance. Néanmoins, la RBL se tient à deux exigences : la qualité et l’ouverture. Qualité des textes que nous publions, de l’agencement du sommaire qui essaient tous de permettre des rencontres inattendues, entre les poèmes, les rubriques mais aussi les reproductions d’œuvre picturale, plastique, ou les photographies qui accompagnent les textes. Qualité de l’objet également, que nous continuons à imprimer sur un papier élégant, dans une mise en page qui se veut au service des textes.

De par son ancrage géographique (en Suisse), au confluent de différentes langues et cultures, les différentes rédactions qui se sont succédées ont toutes été particulièrement sensibles, attentives et réceptives aux écrivains de l’Europe de l’Ouest et de l’Est. La RBL propose ainsi depuis plus de 60 ans beaucoup de traductions, depuis 2010 systématiquement avec le texte original en regard.



Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?


La composition d’un numéro peut se faire, en partie seulement, en fonction de l’actualité. Ainsi notre avant-dernier numéro (2024,1) qui comporte un dossier réunissant des poètes d’Ukraine, du Bélarusse et de Russie. Nous ne sommes cependant pas détachés des contingences du marché éditorial mais nous tentons d’y répondre en essayant de surprendre nos lectrices et lecteurs, qu’ils soient de fidèles abonné.e.s, occasionnels mais aussi, nous l’espérons, nouveaux.

En 2021, nous avons élaboré un numéro spécial, intitulé « Enfantines ». Richement illustré, composé de textes de formes et de nature très différentes (poèmes, dessins, correspondances, proses, entretiens, collages) il a pour but donner voix à cette île qu’est l’enfance. Nullement réservé aux enfants, il est plein de dialogues entre les différentes générations, comme le témoigne la « Lettre à Jocelyne » d’Eugène Ionesco, qui ouvre ce numéro.



À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?


Le musée d’Art moderne et contemporain de Genève (MAMCO) a fait paraître de 2008 à 2013 sa revue dont le titre était « Retour d’y voir ». Nom idéal pour une revue qui peut s’entendre comme un retour sur les expositions présentées. Revue peut également s’entendre comme une inspection : revue des troupes, revue d’un dossier, d’un texte pour déceler erreurs mais également des liens. 

Dans le cas de la RBL, faire revue consiste à rechercher, à choisir, puis à assembler. Ensuite, la revue appartient aux lecteurs qui en feront leur propre inspection (et la rédaction son introspection). « Faire revenir » évoque immédiatement la cuisine : faire revenir des aliments pour changer leur texture, leur odeur, les incorporer ensuite à d’autres. Composer des saveurs, faire ressortir les goûts de chaque ingrédient sans que l’un recouvre l’autre. La cuisine des aliments et celle de la poésie ont certains points communs. Pour donner un exemple, lorsque nous consacrons un dossier à un poète, nous aimons l’associer à d’autres poètes avec lesquels un lien de goût est avéré.



Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?


C’est indubitablement un geste politique, celui d’une forme de militance, à bas bruit. Faire vivre une revue demande passablement de temps, qu’il faut dégager et donner gracieusement, comme le font les membres de la rédaction de La Revue de Belles-Lettres. Cette militance ne consiste pas uniquement à défendre la poésie, des autrices ou auteurs, dans un monde on l’on suppose qu’ils ont perdu de leur importance ou de leur valeur. Elle consiste également à donner d’une façon sensible, d’autres récits, par exemple, comme évoqué, sur l’enfance (RBL 2021,2), sur l’histoire de l’URSS et sa chute (RBL 2019,2 Polyphonie russe) ou sur la nature (RBL 2022,1 Dossier Natures vives).





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