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Photo du rédacteurTimothée Beaujard

L'oreille musicale °1 : Collateral Ab Initio



En ouverture de Collateral a été posée la question de la rentrée littéraire d’hiver, de sa pertinence et de sa signification. Dans le domaine musical, et plus spécifiquement encore dans le domaine des musiques électroniques contemporaines, le changement d’année apparait comme un entretemps. Les albums les plus attendus ont été sortis plus tôt dans l’espoir de figurer dans les classements de fin d’année, lesquels ont été rédigés, et leurs verdicts rendus. Dès lors entre la mi-décembre et les premiers jours de janvier se sédimente un moment d’inattention médiatique. Pourtant, si l’on veut bien y regarder de plus près, la période, parce qu’elle est improductive sur le plan marchand est aussi celle où des artistes et labels déposent des propositions plus personnelles et singulières, moins calibrées pour les attentes de l’industrie.  

 

Face A : Aes Dana – Ab Initio (Pax Edit) [Rythm Büro Records] sorti le 11 décembre 2023 

Ambient, Field Recording. 

 

A rebours d’une partie de la scène techno actuelle qui surjoue la nostalgie des raves en produisant à la hache des morceaux toujours plus rapides et compressés, pour sa dixième sortie, le label ukrainien Rythm Büro Records qui, au cours de ses six années d’existence a continuellement manœuvré dans les secteurs les plus hypnotiques et texturés de la techno contemporaine, a fait le choix de basculer franchement du côté de l’ambient et du downtempo sur un double album collectif de haute volée. Parmi des artistes ukrainiens (Vera Logdanidi, Na Nich) et de grands noms du registre (John Beltram, Sebastian Mullaert, Anthony Rother), c’est au producteur lyonnais Aes Dana que reviennent les honneurs d’ouvrir cette compilation There will be light avec le titre « Ab Initio (Pax Edit) ». Le morceau commence sur des éléments de field recordings : chocs, bribes de conversations, gouttes, oiseaux qui suggèrent un arrière-plan réel, mis à distance par l’usage la reverb. Les nappes de synthétiseurs installent alors progressivement une atmosphère pesante en jouant sur des effets de mises en tension harmoniques et texturales. C’est dans cette densité sonore que viennent s’amortir quelques éléments percussifs lourds laissant derrière eux, comme une onde de choc, un jeu spatial lancinant de balayages panoramiques. Et, déjà, les quelques 7 minutes 45 du morceau se sont écoulées.




Face B : Erika – Anion (Eris Drew’s Body Rock Remix) [Interdimensional Transmissions] sorti le 5 décembre 2023 

Detroit Techno, Electro, IDM. 

 

A Detroit, l’année 2023 avait notamment été ouverte par l’album d’Erika - Anevite Void sur le remarquable label Interdimensional Transmissions qu’elle co-dirige. En cette fin d’année, dans un effet-retour, la productrice a invité cinq artisans renommés de l’électronique (Mike Parker, Wata Igarashi, Whodat et Noncompliant) à proposer une relecture de son album. C’est la réinterprétation d’Eris Drew qui attire ici plus particulièrement notre oreille. La productrice de l’Illinois s’empare de la balade électro mélancolique « Anion » pour la tirer vers une course urbaine IDM euphorique et chaleureuse non loin des productions d’Aphex Twin ou de Plaid. Le tour de force réside essentiellement dans la façon dont Eris Drew s’est saisie des espaces laissés libres dans les moyennes fréquences entre le kick drum monolithique et les accords des synthétiseurs du morceau d’origine. S’en suit un travail d’orfèvre pour remplir le spectre sonore et la grille rythmique au moyen d’une batterie et de percussions filtrés, d’une basse modulée et une collection de samples vocaux qui propulsent le morceau avec une énergie remarquable sans pour autant perdre le sound design aérien et articulé d’origine. Eris Drew montre ici qu’il n’y a pas besoin d’augmenter le BPM d’un morceau pour le rendre irrésistible.



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