Parmi les initiatives en poche les plus réjouissantes de 2024 figure la toute nouvelle collection « Souterrains » lancée par les Editions du sous-sol. Sous la houlette d’Adrien Bosc, la jeune maison, forte désormais des succès de librairie de Déborah Lévy offre une réflexion originale sur la manière dont la collection poche peut venir interroger le fonds lui-même et accentuer les politiques éditoriales des grands formats. Autant de pistes de réflexion creusées en compagnie de Julie Thévenet, éditrice, et pour une question, et non des moindres, Cyriac Allard, graphiste de la collection.
Ma première question voudrait porter sur les motivations de la création de la collection poche que les éditions du sous-sol, dirigées par Adrien Bosc, viennent de lancer en ce début d’année. Comment est né le désir de fonder une collection poche pour une maison qui est aussi jeune ? Comment en avez-vous choisi le nom : « Souterrains » ? Que désiriez-vous d’emblée souligner, au-delà de l’écho prolongé au sous-sol et aux Carnets du sous-sol de Dostoïevski qui a donné son nom à vos éditions ?
Cela fait plusieurs années que la création d’une collection de livres de poche plane au-dessus de la maison. Avec un désir de répondre à la question suivante, comment faire pour que des livres que nous avons publiés, il y a dix, cinq, même deux ans continuent de trouver des lecteurs, comment contourner le dictat de la nouveauté en remettant la lumière sur ces parutions, en d’autres termes, comment faire vivre notre fonds éditorial, tout en le rendant accessible à un plus grand nombre ?
La collection a vu le jour en deux temps. Elle a été impulsée par la demande d’une autrice, Deborah Levy, de publier la trilogie autobiographique en poche au sein du sous-sol, ce qui a donné le premier élan il y a un an, au printemps. Puis nous avons fait le choix de lancer officiellement « Souterrains » en janvier avec la parution du Journaliste et l’Assassin de Janet Malcolm, accompagné d’une préface d’Emmanuel Carrère, et Au fil du rail de Ted Conover.
Le nom de « Souterrains » nous a plu car il nous permettait d’y apposer différentes idées. En premier lieu celui du fonds éditorial, si vous imaginez une maison d’édition comme étant une vraie maison, au sens architectural, les souterrains en représentent les fondements. Cela peut aussi renvoyer à des textes qui seraient oubliés, cachés mais que nous pourrions faire ressurgir, et c’est évidemment un écho aux Carnets du sous-sol, le livre de Dostoïevski qui nous accompagne depuis le début.
Parlons, si vous le voulez bien, des deux premiers titres que vous inscrivez à votre catalogue : il s’agit de Janet Malcom avec Le Journaliste et l’assassin et de Au fil du rail de Ted Conover. D’emblée, vous tirez un fil éditorial, intrinsèque à votre maison, qui est celui du journalisme, et en particulier du journalisme d’immersion. Est-ce qu’en premier lieu le nom de la collection que nous évoquions à l’instant, « Souterrains », renvoie ainsi à ce souci d’immersion ? S’agit-il également en privilégiant ce caractère d’écriture du journalisme littéraire d’accentuer cet aspect éditorial de votre maison, pour y affirmer encore un peu davantage cette identité ? Si Ariane Chemin est une des signatures de vos livres grands formats, l’identité de journalisme littéraire s’affirme en poche avec le Janet Malcom avec une préface inédite d’Emmanuel Carrère : s’agissait-il ainsi de souligner des parentés de recherche d’écriture ?
Le mot « Souterrains » peut en effet renvoyer à un souci d’immersion, mais il va, pour nous bien au-delà. Les Éditions du sous-sol sont nées de la volonté qu’avait Adrien Bosc de voir publier des textes hybrides ayant une forme encore peu publiée en France : des textes trop longs pour un article de journal et trop courts pour un livre, ce qui a donné naissance à la revue Feuilleton. Revue qui a accueilli, au fil de ses vingt-deux numéros, de nombreux écrivains de reportage, notamment américains, dont nous publions désormais les livres : Ted Conover que vous citez, mais aussi William Finnegan, Susan Orlean, David Grann, Lillian Ross, Gay Talese, Nathaniel Rich, etc.
La littérature du réel étant l’identité première de la maison, il semblait évident que la collection se tourne vers ce genre d’emblée. Et nous souhaitions que le premier titre soit comme un manifeste, qu’il explique le geste éditorial, c’est le cas du livre de Janet Malcolm qui interroge le rapport à la vérité. Au fil des années, les Éditions du sous-sol se sont ouvertes à différents paysages et territoires, à la recherche de livres frappants, différents par leur écriture ou leur sujet, des textes poreux, inclassables, souvent à la lisière de différents genres, je pense notamment à Mariana Enriquez, Phoebe Hadjimarkos-Clarke, Antoine Wauters ou Laura Vazquez… Et Maggie Nelson dont nous publierons Bleuets dans la collection « Souterrains » en mars. Cette collection vient donc en miroir de notre maison d’édition avec ses identités diverses.
Si la ligne éditoriale s’affirme, les enjeux économiques se dessinent également pour votre collection de poche. L’inflation toujours omniprésente et galopante fait se reporter nombre de lecteurs sur les livres de poche : était-ce pour vous une manière de répondre à cette attente ? Par ailleurs, quel est l’enjeu commercial fondamental pour vous en lançant cette collection ? Est-ce une nouvelle manière de se développer plus avant, de pérenniser ce que vous avez élaboré depuis des années ?
La création de « Souterrains » revêt un double enjeu : d’image et économique. D’une part, la décision de publier en poche, directement au sein de notre maison, des titres n’ayant pas atteint un solde des ventes suffisant pour une publication dans une maison de poche spécialisée marque un choix éditorial fort, celui de pérenniser une œuvre, de l’inscrire dans le paysage sur le long, c’est d’ailleurs le parcours des « classiques ». D’autre part, comme déjà expliqué auparavant, faire vivre un fonds éditorial est un enjeu économique en soit, cela permet entre autres de couvrir les à-valoir et d’amortir les coûts de production sur le long terme. Et in fine de pouvoir renouveler les contrats dans le cas des livres étrangers.
Il est évident que la situation économique actuelle et l’inflation pèsent sur le pouvoir d’achat. Proposer des livres à un prix réduit permet de les rendre accessible à un plus grand nombre.
Ce qui frappe en feuilletant les deux volumes parus, ce sont les choix graphiques et matérielles pour une réalisation extrêmement soignée, avec notamment des rabats. Vous avez également choisi de ne pas reprendre le code de l’édition grand format, dominée le plus souvent par un fond blanc même si ce n’est pas le cas de tous vos volumes. Comment avez-vous pensé en termes graphiques ce passage en poche ?
Cyriac Allard, graphiste : L’idée première était d’accompagner la volonté de mise en avant des auteurs de la maison sous-sol et de créer une collection qui soit singulière et identifiable rapidement dans l’univers des poches, avec un soin apporté à l’objet. Le double sens de lecture avec un corps plus important pour le nom des auteurs créer une double entrée en le distinguant du titre. De ce jeu est venue l’idée d’une circulation, d’un mouvement lors de la prise en main du livre avec une image décomposée qui se recompose, jusqu’aux rabats qui accueillent la biographie et la quatrième de couverture. Les images étant prévues essentiellement en noir et blanc, les aplats colorés se sont imposés pour contrebalancer et identifier chaque titre.
Enfin, ma dernière question voudrait porter sur l’avenir proche de « Souterrains » : quels titres allez-vous passé en poche ? Pensez-vous, comme Verdier le développe notamment pour sa nouvelle collection poche, œuvrer à une politique éditoriale d’inédits, de parutions immédiates en poche ? Comment en voyez-vous l’évolution prochaine ?
Nous publierons six à sept titres par an de la collection Souterrains.
Pour commencer nous avons fait le choix de prendre directement appui sur la parution d’une nouveauté d’un auteur, comme c’est le cas pour Au fil du rail de Ted Conover que nous publions en même temps que Là où la terre ne vaut rien, son dernier récit. De la même manière la réédition poche de Bleuets de Maggie Nelson, accompagnera la publication en grand format du recueil de poésie Quelque chose de brillant avec des trous, idem pour La Position de la cuillère de Deborah Levy en mai, qui paraîtra en simultanée de son nouveau roman Hot Milk.
Plus tard, en juin, viendra Le Temps du reportage de Robert S. Boynton, un enjeu symbolique, c’est un livre qui représente tout de l’ADN de notre maison, un recueil d’entretiens avec les légendes du reportage littéraire, un livre volumineux et donc couteux qui après une belle vie en grand format sera enfin disponible à un prix raisonnable et donc davantage accessible à des étudiants, ceux en école de journalisme par exemple. Le livre est préfacé par Philippe Lançon. En septembre, ce sera Le Fond du port de Joseph Mitchell, préfacé par Eric Vuillard.
Nous n’écartons pas la possibilité d’essayer de dénicher des textes aujourd’hui épuisés, introuvables, ayant une résonnance avec notre ligne. Et sans doute des inédits, peu, mais qui sait bientôt.
Tous les titres de la collection poche "Souterrains" sont à retrouver ici