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Photo du rédacteurJulie Rossello Rochet

Julie Rossello Rochet : « Marguerite Duras incarnait pour moi une grande prêtresse écrivaine »



Julie Rossello Rochet (c) DR


Julie Rossello Rochet est écrivaine, en particulier depuis dix ans pour les scènes de théâtre. Ses pièces sont publiées aux éditions Théâtrales, chez L'Entretemps et aux Cahiers de l'Égaré. Le 17 octobre va paraître Scaphandre, suivi de Louyetu, son premier recueil de pieces de théâtre pour la jeunesse. Également docteure en études théâtrales, elle travaille sur les oeuvres et les vies d'autrices dramatiques engagées dans l'espace public à Paris au cours du long XIXe siècle. 

 


Comment avez-vous découvert Marguerite Duras ? Un livre ? Un film ? Une pièce de théâtre ? Ses entretiens ? Quel a été votre réaction après la « rencontre » avec cette écrivaine ? 

 

Je ne me souviens plus de la première fois mais je sais qu’à vingt-et-un ans, je la lisais avec soif. J’étais étudiante à l’Université de Montréal, mon compagnon de l’époque suivait un cours sur le Nouveau Roman à Mc Gill, et j’avais décidé de lire les œuvres qu’il avait au programme. C’est comme ça que ça a commencé. Yeux bleus, cheveux noirs a peut-être été le premier. J’avais créé un blog du même titre dans lequel je tenais des carnets de mes voyages sur le continent américain. J’avais les yeux bleus, j’étais venue au monde les cheveux noirs. Mais je réalise surtout aujourd’hui que le synopsis résonnait en partie avec ce que je vivais et dont je n’avais alors pas conscience. Ensuite, il y a eu Les petits chevaux de Tarquinia, L’Amant bien sûr, et de nombreux autres empruntés à la bibliothèque de l’Université. À vingt-et-un ans, je la lisais en me concentrant sur les mots, leur enchaînement, le rythme de ses phrases, son souffle d’écrivaine. J’étais fascinée par la manière dont émergeaient d’eux des silhouettes et des situations parfois complexes et mystérieuses entre les personnages. Marguerite Duras incarnait pour moi, en raison de son immense expérience de l’écriture, une grande prêtresse écrivaine. J’ai bu sa langue, j’apprenais et ma vocation à l’écriture s’est renforcée à son contact. Son écriture suggestive, aux phrases courtes, aux silences parfois pesants, aux dits et non-dits, m’a profondément marquée.  

 


Pourriez-vous me citer  : le livre, le personnage, la phrase de Duras qui vous ont le plus marqué.e ? Pourquoi ces choix ?  

 

« Les vrais écrivains sont nécessaires. Ils donnent une forme à ce que les autres sentent de manière informe : c’est pour ça que les régimes totalitaires les bannissent. » 

 

« L’écrivain a deux vies : une, celle à la surface de soi, qui le fait parler, agir, jour après jour. Et l’autre, la véritable, qui le suit partout, qui ne lui donne pas de repos. » 

 

Ce sont des phrases tirées d’entretiens lus le temps d’une nuit, menés avec elle par Leopoldina Pallotta della Torre entre 1987 et 1989, rassemblés sous le titre La passion suspendue (Seuil, 2013).  

 

Son écriture du désir, de la fin de la passion partagée, et la curiosité déterminée de l’héroïne de l’Amant m’ont marquée. 

 


Qu’est-ce qui vous fascine le plus chez elle ? Sa langue hyperbolique, anaphorique, ses silences ? Ses sujets atemporels qui reflètent, comme la parole du mythe, la mémoire à la fois collective et individuelle du XXe siècle ? 

 

La plénitude de sa langue qui créait chez la jeune lectrice que j’étais une forme de dissociation ; je la lisais en considérant au second plan ce qu’elle décrivait. Je crois qu’elle provoquait à l’époque chez moi, comme toujours lorsque je regarde un ballet de danse, une forme de conscience modifiée. Son écriture m’autorisait à rêver à autre chose tout en continuant à lire avec attention, à faire advenir plusieurs niveaux de perception dans mon espace mental. Je crois qu’en d’autres termes, son écriture ouverte laisse de la place à l’imaginaire de la lecteur-ice. 

 

Ses ouvrages témoins, plus autobiographiques, tels que L’Été 80 et La Douleur (lu et relu) m’ont aussi fortement marquée.  

 


La « modernité » de son écriture, celle qu’elle a nommée dans les années 1980 « écriture courante », impatiente de s’exprimer, au plus près de l’intention orale et de l’inspiration créatrice a-t-elle inspirée votre œuvre ?  

 

Sans aucun doute oui. J’écris des paroles puisque j’écris depuis dix ans pour le théâtre mais le travail de chronique est ce vers quoi je tends en ce moment. Être témoin de son temps avec le regard le plus précis et personnel qui soit, en étant en recherche de réponses, je pense aussi tout à coup, en écrivant ces mots, à Joan Didion dont j’ai découvert l’œuvre plus récemment. Cette volonté de chroniquer est sans doute l’une des quêtes distillée en moi par l’œuvre de Marguerite Duras. 

 

 

Duras encore ou on la confie à l’histoire littéraire ? 

 

Encore, bien sûr  ! 


(Questionnaire et propos recueillis par Simona Crippa)



 

 

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