Mes yeux s’ouvrent le matin
une fleur éclot
puis tombe en dansant
dans le soleil d’hiver
je ne supporte plus ce travail
je le pense sans l’écrire
conversation sauvage avec moi-même
sans ombre sans voix
tu surgis
funambule de l’air
je te suis
à la fenêtre le grutier manœuvre
le mouvement de l’immense machine
me distrait de la tâche
me voit-il ?
la journée défile
personne ne vient nous déranger
Il est plus de 16h
la grue est immobile
ailleurs d’autres tourments
d’autres points de vie
bruit de fond de ces circulations urbaines
bribes
fragments
épluchures
12 mails non lus
les dernières semaines, les mois, les minutes
mes décisions aboutissent ici
au-dessus d’un précipice
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Parfois en m’endormant
j’entends un battement ou deux
de son cœur
fugace oiseau chétif
rendu au bleu des étoiles
alors j’essaye de lui écrire
d’éliminer la peine dans les mots
« J’ai fait une croix sur toi
tu avais l’âge de l’aurore
l’âge du sourire
tu étais comme le vent doux du printemps
ils ont gardé dans le dossier bleu
un écho de ton existence
une image de toi
où l’on ne voit pas grand-chose »
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Quai de la Loire
envie de plonger
de me baigner entre les nuages
là où s’échangent les limites
lumières vertiges
tectoniques des rêves humains dans le réel
réel si puissant
impassible Dieu de béton urbain
tandis que les arbres ploient
sous leurs feuilles vertes phosphorescentes
me rappeler soudain
portée par les ondes hypnotiques de l’été
nos origines de poissons
Extraits de « Ecarlates »
LAVALLÉ, Jennifer. Écarlates, Montréal : Pierre Turcotte Éditeur, Collection Magma Poésie, mai 2024, 67 pages, 13, 90 euros