Ma mère est morte très jeune, et de manière violente. Pour moi, il a été longtemps hors de question d’y penser. Mais j’étais harcelée par des images d’elle, suivies de phrases que je ne pouvais pas prononcer. Brutalement, un flash, une idée, autant de projectiles lancés de nulle part et qu’il s’agissait d’esquiver.
Ce processus bien connu des états qu’on appelle « dissociatifs » m’était quasi externe, si bien qu’on pourrait dire que je pleurais ma mère comme contre mon gré. Et quarante ans plus tard, le temps de l’inconscient n’étant pas le même que le temps des horloges, je suis toujours à la merci de ces éléctrochocs.
Décharges mentales, courts-circuits mémoriels, raptus d’angoisse d’une très antique souffrance, ils sont traduits dans une série photographique qui associe une vision à un fragment de pensée.
Ils représentent ce qui demeure incontrôlé, parfois tabou, parfois insoutenable, proprement refoulé. Ils donnent la parole à la mémoire amnésique, non conceptuelle, disparate, insolite et presque asignifiante: lapsus visuels, oxymores mentaux, alliances sonores et intuitions sans queue ni tête. Ils forment ce métalangage énigmatique et parcellaire, auquel chacun peut se livrer.
Je les appelle Les Imagoes.