Disons-le sans détours : avec Archipels, Hélène Gaudy ne signe pas seulement son plus beau récit d'un parcours qui en compte pourtant déjà quelques-uns mais l'un des ouvrages parmi les plus remarquables parus ces dernières années. Publié à L'Oliver, Archipels se consacre à l'enquête que Gaudy entame pour mieux connaître son père, Jean-Charles ou plutôt Jean-Karl, un homme dont l'enfance fut la Guerre et la persécution. Un homme qui dessine une oeuvre aussi plastique que ce récit de filiation si singulier, qui se soustrait à toute définition pour explorer les liens filiaux. Autant de pistes de réflexions que Collateral ne pouvait manquer d'explorer en compagnie de son autrice le temps d'un entretien exceptionnel.
Ma première question voudrait porter sur la genèse de votre si beau nouveau récit, Archipels qui vient de paraître en cette rentrée littéraire à L’Olivier. Comment est né ce souhait de consacrer un vaste récit au destin de votre père, Jean-Charles, ou plutôt de son vrai prénom, refusé par l’Etat civil, Jean-Karl, à savoir, comme vous le rappelez, « Jean comme Jean Jaurès et Karl comme Karl Marx » ? S’agissait-il pour vous d’offrir par ce récit de filiation une manière de portrait indirect, vous qui indiquez qu’il faut livrer « cette part de lui qui reste en moi, impossible à définir comme à contester » ? En définitive, parce qu’il est marqué aussi par l’expérience de la guerre et de parents œuvrant pour la Résistance, ne s’agit-il pas de mettre des mots sur un destin familial dominé par le silence, la discrétion, là où, sans légende, « chez nous, rien ou presque n’est jamais narré, ou de manière très allusive, comme si nos vies ne comportaient rien de notable, rien qui mérite d’être transmis » ?
Sans doute que tout vient de ce paradoxe : parler de quelqu’un qui parle peu, qui m’a toujours dit qu’il n’avait rien à dire. C’est dans ce « rien à dire » que se loge le désir de comprendre, et d’écrire. J’ai puisé dans ce silence avec l’idée de remonter à sa source. Je crois qu’au-delà d’un récit sur la vie de mon père, c’est un livre venu de son silence.
Je voulais descendre peu à peu vers l’enfance, donc vers la guerre, et ce qu’elle a causé en lui de refoulement et d’amnésie. Dans le traumatisme collectif des années 1940, j’ai trouvé, dans son destin particulier, une omniprésence de l’incertitude et du secret — une enfance ballottée d’un lieu à l’autre, avec peu de repères, une enfance durant laquelle on ne pouvait rien nommer : puisque ses parents, résistants, vivaient dans la clandestinité, il lui était interdit de se livrer aux autres, y compris sur des choses aussi simples que le lieu où il habitait.
Il me semble que ce silence originel, obligé, a suscité chez lui d’autres formes de silence beaucoup plus fertiles — la rêverie, l’observation, la poésie, un rapport au langage aussi empêché que singulier, d’autres formes de transmission et de partage. C’est cela que j’ai essayé d’explorer. Je l’ai fait en prenant les choses une par une, sans partir avec l’idée préconçue d’un grand récit mais plutôt en assemblant petit à petit les pièces du puzzle, sans savoir quel visage allait se dessiner.
Pour évoquer sans tarder le cœur même d’Archipels, parlons de la manière dont, pour commencer à évoquer le destin paternel, vous convoquez, comme vous avez pu le faire dans vos précédents récits, la géographie. Davantage qu’une autobiographie ou une simple biographie, Archipels dessine les contours de ce qu’il faudrait nommer une autogéographie tant il s’agit, depuis l’écriture, de saisir, à partir de l’Isle de Jean-Charles menacée par les aménagements du Mississippi une situation existentielle aussi impressionnante qu’une terre neuve : la figure paternelle comme un continent à découvrir, comme un lieu à arpenter, un monde inconnu qu’il s’agirait non pas tant de raconter que cartographier. Vous écrivez même : « La géographie est fragmentaire mais des détails commencent à s’éclairer : une longue-vue à braquer sur sa vie, et sur la mienne par ricochets. » La géographie se pose-t-elle ainsi pour vous à l’entame de tout portrait ? En quoi permet-elle encore de « dresser un portrait du dehors, des marges, de l’ombre » pour mieux approcher ce qui, sans elle, se déroberait peut-être ?
Sans doute que mon attachement au paysage a un lien obscur avec la géographie flottante, fragmentée, dans laquelle mon père a passé son enfance — comme ma mère, d’ailleurs, mais c’est une autre histoire. Cette absence d’ancrage, cette interdiction de nommer les lieux pour ne pas se trahir a développé chez lui et sans doute, à sa suite, chez moi, une attention redoublée, un fort désir de s’approprier, d’engranger des images. Mon père m’a toujours dit de regarder, de respirer quand on était au grand air, il m’a appris les noms de certains arbres et les coins à champignons, il m’a transmis sa curiosité vis-à-vis des lieux qui est aussi, je crois, une quête de repères et d’ancrage.
Quand je ne sais pas par quel bout prendre une histoire, c’est toujours le lieu qui me sauve. C’est en observant un endroit, en m’attachant à ce que les émotions y ont laissé de visible, de matériel, que je trouve un fil à tirer pour écrire un roman. Là, c’est la découverte de cette lointaine île de Louisiane qui porte son prénom, c’est cette coïncidence géographique qui a réveillé une sorte d’urgence : le désir d’écrire sur lui par le biais des objets et des paysages. Partir de ce lieu comme d’un aimant lointain m’a permis d’écrire sans idées préconçues, de faire de ce texte non pas une biographie mais une exploration, une traversée vers lui.
Mon père m’a tellement dit qu’il n’avait rien à raconter que les lieux — comme les objets, les lettres, les cahiers, tous les indices que j’ai recueillis — étaient les seules choses tangibles permettant de retracer ce qu’il avait pu vivre, ressentir. Les lieux sont toujours communs : on peut y marcher à plusieurs, même avec un temps de retard, et y trouver les cailloux du Petit Poucet.
Tracer les contours géographiques de la figure paternelle conduit à lier cette même figure à une forme géographique qui traverse tous vos récits : l’île. De fait, dès son titre, Archipels renseigne sur la formule insulaire qui préside à la saisie de Jean-Charles, mais aussi de son père ainsi que de vous-même tant l’île paraît dessiner un schéma familial. Vous écrivez ainsi à propos de la collection « Îles » du grand-père : « J’ajoute mes îles aux siennes. / Je continue sa collection. » Avant d’ajouter plus avant : « Chaque famille est une île, un écosystème, enrichi ou perturbé par les espèces invasives, une île dont le tréfonds repose au fond de l’eau. » En quoi cette expérience du paysage insulaire éclaire-t-elle la personnalité de Jean-Charles, discrète et pudique ?
Les îles sont pour moi un objet de fascination qui change de forme de livre en livre. Une fascination aussi réelle, géographique — la circulation particulière qu’elles permettent, le mode de vie singulier qu’on y mène — que symbolique.
En traversant peu à peu la vie de mon père puis celle de mon grand-père, tous deux passionnés de voyages, je me suis rendue compte qu’elles étaient semées d’îles évoquées, rêvées ou parcourues, mais aussi qu’elles fonctionnaient elles-mêmes comme des systèmes insulaires. Un archipel d’enfants uniques, dont mon fils et moi faisons aussi partie, reliés aux autres mais toujours pris dans une forme particulière de solitude qui n’empêche pas le désir de lien, et sans doute même l’entretient.
Dans la vie de mes parents comme dans celle de mes grands-parents, il y a toujours eu cette tension entre l’individuel et le collectif. Ils ont été la fois un peu en marge et très investis dans des combats communs, notamment politiques, et mon père, à la fois militant et archiviste des luttes qu’il a menées. Dans leur sillage, ce livre est à la fois une quête intime et une tentative de saisir une histoire plus vaste, celle de la France des années quarante, cinquante, soixante, celle de 1968 et des années qui ont suivi. Toujours ce double mouvement : participer et se mettre sur le côté pour garder trace, pour regarder.
Est-ce que l’insularité ne suggère pas immédiatement un portrait toujours au bord de ne pas être accompli tant cette même personnalité semble comme retranchée en elle-même : une île, une forteresse du titre de l’un de vos précédents textes ?
Le portrait est fragile et fragmentaire, surtout celui de mon père, que je vois toujours avec mes lunettes de fille, quoique je fasse pour les ôter. Ce que j’aime, ce sont les chemins détournés qu’ouvre cette recherche : retourner le mouvement de la biographie en saisissant avant tout de quelqu’un ce qui l’excède, ce qu’il nous désigne, ce qu’il nous permet de découvrir.
L’île est un coffre à trésors, un lieu où cacher les secrets, mais aussi un poste d’observation, une vigie. L’atelier de mon père est un lieu clos mais curieux du monde, une forteresse aux fenêtres grandes ouvertes.
Sans me parler de lui, il m’a toujours indiqué des directions où regarder. C’est donc forcément ainsi, par la bande, en empruntant enfin, sur le tard, les chemins qu’il a tracés, que je peux l’approcher.
Si la cartographie trace une ligne poétique majeure de votre récit, Archipels ne se réduit pourtant pas à une saisie géographie tant, dans ce portrait de votre père puis de votre famille entière, se détache comme la formule d’une poétique de l’enquête. Sans répit, dès l’entame de votre récit, vous êtes exposée à « la trace d’un évanouissement », à ces traces qui « échappent à l’image », à ce qui, à chaque instant, menace de disparaître, se donne comme hors champ, appartient au règne si fragile de l’évanescent. Archipels tente ainsi d’enquêter sur le destin du père, enfants de Résistants traqués, enfance cachée, jeune adulte en Algérie au cœur de la Guerre d’indépendance car, par cette somme si fragile de traces, l’enquête ne se donne pas comme évidente parce que, précisément, il n’est pas inconnu. L’intimité pose une opacité : « J’enquête sur quelqu’un qui est là, en face de moi, avec qui je bois le café en parlant de tout et de rien, j’enquête sur les autres lui-même, les antérieurs, les embusqués. » Pourriez-vous nous dire en quoi, au-delà de la saisie d’un homme comme tache aveugle, cette enquête que vous menez avec patience et obstination se révèle ainsi être celle d’un feuilleté de personnalités ?
Les plus proches sont évidemment ceux que l’on voit le moins bien. Dans mon dernier livre, Un monde sans rivage, j’avais enquêté sur des explorateurs suédois du XIXe siècle. J’avais accumulé des traces, journaux d’exploration, photographies, pour tenter d’en faire émerger quelque chose de vivace. En commençant à écrire sur mon père, je me suis rendu compte qu’il n’était pas plus facile à saisir que ces explorateurs d’un autre siècle. Le savoir que construit la vie commune, toutes ces choses minuscules qui font nos relations, c’est aussi quelque chose qui masque, qui recouvre, qui empêche de voir. Comme on redevient toujours un enfant en passant le seuil de l’appartement de ses parents, il est très difficile de les regarder comme des êtres humains qui nous préexistent, qui sont, comme vous le dites, un feuilleté de personnalités et pas seulement la facette à laquelle nous sommes habitués. Chercher mon père dans les traces qu’il a lui-même assemblées m’a permis de sortir de notre mode de relation familier, de la manière dont il me dit les choses à moi, sa fille, et qui le définit comme père.
À travers ses objets, ses lettres, ses carnets, je l’ai vu apparaître jeune homme, adolescent. J’ai fait sa connaissance autrement, sans le filtre qu’aurait apposé sa manière de voir, désormais, les épisodes du passé.
Les archives ont cela de passionnant : elles sont des traces vives qui n’ont pas été modifiées par le temps, par le recul qu’on finit par avoir vis-à-vis des anciennes versions de soi-même. Mon père adolescent, dans ses carnets, est amoureux, compliqué, en colère, et tout cela de manière tout à fait entière. Rien n’est assagi, rien n’est lissé. Jamais il ne m’aurait raconté les choses de cette façon-là.
Comme j’ai la chance d’écrire alors qu’il est encore là pour m’accompagner, cela lui a également permis de revisiter des épisodes de sa vie. Lire l'interprétation de quelqu’un d’autre de ce que vous avez vécu est toujours une forme de dépossession, voire de violence, en même temps qu’un déplacement du regard : cela vous sort de votre propre façon de vous raconter, de vous voir. Le livre est devenu un processus à deux : j’enquêtais, je lui faisais lire et lui-même amendait, revisitait des pans de sa vie sous une autre lumière. C’est devenu une expérience vivante, qui ne cherche pas tant à approcher une vérité qu’à faire bouger les lignes, les rôles que chacun tient en famille et qui nous assignent, aussi. Je crois que cela a complètement changé mon regard sur lui, et aussi sur l’époque qu’il a traversée.
Découvrir les personnalités embusquées du père, à la manière d’archipels à la dérive, permet de dessiner un père qui est au cœur d’une poétique : celle qui ne cesse de se poser la question de savoir comment habiter un lieu, comment, de manière artistique, s’en saisir, comment, finalement, occuper un espace. A ce titre, si la géographie est sollicitée, c’est surtout l’occupation des sols qui se révèle déterminante : ainsi l’atelier d’artiste qui est le sien se fait-il lieu d’accumulation de toutes sortes d’objets, comme si le père était à la fois, selon vos éclairantes formules, « voleur à l’envers », « glaneur de la vie des autres » ou encore « facteur sans destinataire ». En quoi, par ces collections d’objets, la figure paternelle se donne-t-elle aussi bien comme une figure dédoublée de votre geste même d’écriture, une manière de nouvelle complicité où, en écho diffracté à votre démarche, le père se fait, comme la narratrice, « l’archiviste de la vie des autres » ?
La première fois que j’ai vu l’atelier de mon père comme un espace que je pouvais m’approprier, ça a été à travers le regard de quelqu’un d’autre. Mon ami Arnaud de la Cotte, qui réalise depuis des années un journal filmé, était de passage à Paris. Je m’étais dit que les curiosités amassées dans cette pièce pouvaient l’intéresser. Il est venu, il a filmé, il a posé quelques questions à mon père qui a répondu timidement, comme à son habitude, et juste par sa présence, par son regard, il m’a donné la distance dont j’avais besoin pour défaire ce lieu de l’habitude qui me le cachait. Je me suis dit que c’était quand même un endroit un peu fou, qui racontait beaucoup d’histoires, qui disait sans doute davantage sur mon père que tout ce qu’il pouvait me confier. Quelque temps après je me suis mise à écrire, et je me rends compte maintenant que ce moment déclencheur a aussi à voir avec l’irruption des autres dans un lieu intime, avec ce tiraillement permanent entre histoire familiale et collective, partagée.
Mon père collectionne avant tout des fragments des vies des autres, toute une mémoire commune. Il s’efface dans cette multitude mais elle le définit, aussi. Je n’ai pas tenté de lui arracher des confidences, des anecdotes personnelles — quoi que certaines ont quand même fini par surgir. J’ai plutôt voulu dresser son portrait à travers ce que lui-même avait glané des autres, et ce qui m’a étonnée, c’est qu’à travers ces traces extérieures, artistiques, historiques, à travers les albums de timbres, les outils, les masques africains, les livres, ce sont aussi des choses très intimes, très souterraines, qui ont émergé.
Comme Georges Perec, mon père essaie de sauver des choses de la disparition, et il le fait sans hiérarchie, sans recherche de la valeur. Il collectionne des choses qui le frappent, qu’il ne veut pas laisser mourir. Même si elles ne valent rien, elles s’éclairent les unes les autres par le lien, l’assemblage. C’est en cela, je pense, que nos démarches sont les plus proches : en reliant des fragments lointains, apparemment étrangers, on dessine une image qui, dans le dissemblable, finit par nous ressembler.
Cette part artistique du père trouve aussi à lire dans autant de poèmes du père que vous reproduisez pour certains. Ces poèmes sont d’emblée définis ainsi : « ces poèmes polis comme des pierres, où aucun mot ne manque, où aucun n’est de trop, dont chaque phrase est limpide mais dont le cœur est insaisissable, ces poèmes dont j’ai toujours été persuadée que dormait une énigme dont la résolution m’apparaitrait un jour si je persistais à les lire. » Quel rôle donnez-vous ainsi à ces poèmes ? En quoi sont-ils un des archipels qui permettent de mieux saisir le père ?
La poésie de mon père a toujours été pour moi un mystère. Depuis des décennies, il écrit un poème par jour, selon un protocole précis auquel il ne déroge jamais. Je l’ai toujours vu, en plein milieu d’un repas, soudain regarder ailleurs, sortir un petit papier de sa chemise et se mettre à écrire. C’était comme s’il avait accès à un monde invisible où il se rendait en douce et dont il rapportait des mots codés. Enfant, quand je les lisais, je leur trouvais à la fois de la beauté et du mystère : chacun possédait une charge sonore, visuelle, mais l’ensemble me semblait opaque comme une langue étrangère. Je me souviens que, pour décrire sa poésie, certains employaient le mot « hermétique » — ce qui, avec le recul, me semble résonner avec ces histoires d’îles, de forteresse et de mémoire perdue. Quelque chose qu’on ne peut pas ouvrir mais dont on sent la charge précieuse. Sans doute que dans mon rapport à l’écriture et à la lecture il y a quelque chose de cette envie de comprendre une langue, de percer son mystère. Pour écrire ce livre, j’ai commencé à lire ses poèmes autrement. J’ai parfois eu l’impression d’entrer enfin dans son écriture, d’en voir toute la beauté. J’ai eu envie de partager son travail mais aussi de le prendre comme une clé pour interroger sa trajectoire, et celle du geste artistique en général : pourquoi se met-on un jour à écrire de la poésie après avoir, comme beaucoup de jeunes gens, tenu un journal ? Qu’est-ce que ça change au rapport au monde, à la vie quotidienne ? Quel rapport entretient-elle, cette poésie, avec une enfance passée dans le secret ? En quoi ces mots obscurs sont-ils peut-être l’accès le plus direct, le plus vif, à toutes les parts de soi auxquelles on n’a pas accès ?
Ma dernière question voudrait porter sur la place que la pudeur occupe dans votre récit. Est-ce que, finalement, au cœur de cette « archive du présent » que votre récit créé, la part la plus importante rejoint la mesure dont l’écriture fait preuve, le respect silencieux qui entoure un père diminué mais aimé ?
Je pense de plus en plus qu’on écrit ce qu’on peut écrire, et que la pudeur est rarement un choix. C’est une distance qu’on subit parfois, qu’on tente de combler, et qu’on peut finir par apprécier pour ce qu’elle est. La distance, c’est aussi une zone à explorer : qu’est-ce qu’il y a entre l’objet de mon enquête et moi ? Ça ouvre tout un champ.
Je me souviens que quand j’étais jeune et que je commençais à écrire, un éditeur m’avait dit : on a l’impression que tu es sur le plongeoir et que tu hésites à sauter. Bien sûr ça m’avait vexée, et cette vexation m’a sans doute servi de moteur. Je pense m’être un peu rapprochée du bord depuis, voire réussir parfois à sauter dans le vide, mais je me dis aussi que cette distance fait partie de ma matière. C’est ce que j’explore, ce dans quoi je puise. En ce qui concerne mon père, bien sûr, il y avait aussi le désir de travailler notre lien sans trop le malmener, de faire attention à lui, tout simplement. Cette forme de pudeur, je la tiens sans doute un peu de lui, et il était temps de m’y confronter.
Hélène Gaudy, Archipels, L'Olivier, août 2024, 288 pages, 21 euros