Impossible pour Collateral d’enquêter sur l’héritage de Marguerite Duras dans la littérature contemporaine sans aller à la rencontre de l’une de ses figures majeures : Gaëlle Obiégly. Depuis ses premiers récits jusqu’à son dernier, le fascinant Sans Valeur, un des plus beaux textes parus ces dernières années, Gaëlle Obiégly propose une fiction et une diction où le fantôme de Duras peut guetter à chaque instant.
Comment avez-vous découvert Marguerite Duras ? Un livre ? Un film ? Une pièce de théâtre ? Ses entretiens ? Quel a été votre réaction après la « rencontre » avec cette écrivaine ?
Je l’ai découverte à sa mort en lisant le journal L’Humanité. Son nom ne m’était pas inconnu mais je ne l’avais encore jamais lue. Dans les jours suivant sa mort, j’ai lu Le Navire Night et Les yeux bleus, cheveux noirs et L’homme assis dans le couloir. J’étais déroutée ; je lisais quelque chose de totalement nouveau. La passion que j’y percevais exerçait une fascination. Je ne savais pas si j’aimais ; en tout cas, j’étais prise par le texte, sa sonorité, sa folie, son autorité.
Pourriez-vous me citer : le livre, le personnage, la phrase de Duras qui vous ont le plus marqué.e ? Pourquoi ces choix ?
La phrase : « j’aimerais quiconque entendra que je crie que je t’aime. » Elle se trouve dans Les Mains négatives. En moi, cette phrase est comme une peinture.
Qu’est-ce qui vous fascine le plus chez elle ? Sa langue hyperbolique, anaphorique, ses silences ? Ses sujets atemporels qui reflètent, comme la parole du mythe, la mémoire à la fois collective et individuelle du XXe siècle ?
Ce sont les silences. Des gouffres.
La « modernité » de son écriture, celle qu’elle a nommée dans les années 1980 « écriture courante », impatiente de s’exprimer, au plus près de l’intention orale et de l’inspiration créatrice a-t-elle inspirée votre œuvre ?
Inspirée, non. Mais il y a une influence inconsciente. Marguerite Duras vient dans mes rêves, ce qui atteste d’une proximité. Une proximité peu déchiffrable.
Duras encore ou on la confie à l’histoire littéraire ?
Je dirais les deux. Tout dépend de l’intimité que l’on a avec ses livres. Comme ils vous parlent. Certains sont rangés dans la bibliothèque (c’est-à-dire des cartons) ; ils ont été lus ; ils reposent dans l’histoire littéraire. D’autres livres de Marguerite Duras sont ouverts sur ma table ; ils sont présents, ceux-là, actifs. Ils donnent du désir.
(Questionnaire et propos recueillis par Simona Crippa)
Gaëlle Obiégly, Sans valeur, Bayard, « Littérature Intérieure », janvier 2024, 144 pages, 14 euros