top of page
Photo du rédacteurGuillaume Augias

Gérard Gavarry : Un gars qui soit gouailleur (Le Cinéma de Léaud)

Dernière mise à jour : 16 mai




Il sera octogénaire ce printemps, Jean-Pierre Léaud, et c'est comme si on l'avait toujours connu. Cependant il erre, parfois, dans le Quartier Latin. Seul ou accompagné, ici d'une aide à domicile, là d'une famille venue de Chine pour lui dire toute son admiration. Une cagnotte a circulé, aussi, ces derniers temps. Pour soutenir l'acteur, financièrement et moralement atteint.


Le livre de Gérard Gavarry, Le Cinéma de Léaud, vibrant hommage, est très bien renseigné et pas seulement par des souvenirs personnels plus ou moins lointains. Il rappelle les propos tenus par Léaud il y a une dizaine d'années :

« La vie n'existe que quand je tourne, voilà le paradoxe. Je suis complètement à l'aise devant la caméra, dix mille fois plus que dans la vie.»


Cette caméra, il la fixe souvent comme s'il s'agissait d'une personne, et même de la seule personne qui vaille. Qui d'autre, en effet, se sera montrée plus fidèle dans l'enregistrement d'un personnage qui grandit, qui décline, qui s'éteint ? La construction du texte de Gavarry, chronologie d'instantanés d'une filmographie entrecoupés de commentaires, vient servir cette saisissante impression : celle qui accompagne le visionnage d'un stop-motion de photos quotidiennes, suggérant un vieillissement comme par morphing (le temps comme morphine).


Image-temps et Image-mouvement. Léaud c'est avant tout une gestuelle, « le bras qui s'élance pour ouvrir grand l'espace environnant, l'index qui se dresse, les hanches qui pivotent à l'improviste ». Car, il n'est pas inutile de la rappeler tant sont enfumés les films dans lesquels on peut le voir jouer, « il est plus intéressé par les gestes et le maintien qu'induit le maniement de la cigarette que par la volupté de l'inhalation. D'ailleurs, il n'avale pas la fumée, ou à peine, il crapote ».

 

Le mouvement, ainsi que la fuite :

« Léaud ne tient pas en place. Quand ce ne sont pas les doigts, les mains, les bras ou le corps entier qui bougent, ce sont les yeux qui regardent à droite à gauche, comme essentiellement indisciplinés. De là que, malgré la vitalité physique et verbale, malgré la malice, la gouaille, le rire (souvent contenu), le sourire (éclatant, juvénile jusque dans le visage devenu vieux), on ressente chez Léaud un fond de détresse. »


Ce désarroi peut également devenir sa force, sa sève, depuis la terrasse du Flore chez Jean Eustache dans La Maman et la Putain jusqu'au crépuscule du Tournesol chez Albert Serra dans La Mort de Louis XIV. De Truffaut à Rivette et de Godard à Pasolini, il aura fait partie de l'aristocratie des Jeunes Turcs au point d'en rester le seul survivant, l'enfant qu'aucun d'entre eux n'aura eu. Lisez donc Le Cinéma de Léaud toute affaire cessante.





Gérard Gavarry, Le Cinéma de Léaud, P.O.L., mai 2024, 112 pages, 15 euros

Posts similaires

Voir tout
bottom of page