2
Odor under control
« Valéria, sais-tu lire dans les pierres, ce qu'elles racontent, des derniers hivers, de ceux qui ne connaîtront plus le passé des nuits sombres aux nuits claires, la plantation de l'arbre de mai et les grands feux, qu'as-tu appris de l'extraction des mousses et des lichens, des mouches que tu aspires qui résistent au froid, les mouches coprophages celles qui volent dans les entrailles quand il reste encore un peu de peau, d'eau, d'os, de chair, et festoient de déjections, matières fécales, tu as buté sur les ceintures et les sangles, l'intestin de la bête, le crâne d'une autre bête, les fanons, tu as plongé sous le sol, ici, il te faut avancer autrement, accrochée au rivage de glace avec les glaces des années précédentes, tu te déplaces sur couches de glace, tu es sur le tuvaq, puis tu passes le uiniq, sur l'eau libre et la glace à la dérive, tu te méfies du sarri, son fort courant, ses immenses morceaux de glace, tu dois apprendre de la direction des vents, eux continuent à t'enseigner, ce que les vents du sud plus forts disent des précipitations de neige, du temps à mettre pour se rendre, de l'épaisseur de la glace et des incessants changements, tu as oublié ce qui te vient d'ailleurs, ce que tu ignores volontairement, dans les champs d'arayacks tu as oublié que les changements s'observent, aucune saison n'est préférée, les cycles et les variations ne se valent pas, comme les complémentarités, même dans les rapides, tu ne changes pas le cours de choses, mais tu peux abandonner aux rivières et à la mer ta combinaison, et revêtir un kamik étanche, parka avec capuchon en pointe, manteau de surface lisse à peau portée et retournée avec des franges en bandelettes, tu changes de peau, et tu grimpes dans ton oumiak, que tu as tissé et assemblé avec les os, le bois et les lanières de cuir, fière de ce bateau de peau, dans le floe, dans les rapides, pagaie ou meurs, la rivière, la mer, les courants peuvent retourner ton bateau, ici, tu prends un ulu, à la lame très convexe, jamais tu n'attaques sans faire de prières, jamais tu n'attaques sans demander l'humilité du geste, devant l'animal marin qui s'offre, et ce que tu dépèces, tailles, nettoies, peaux, vêtements, lampe à huile, ont été pris et seront rendus dans les battements de la vie et de la mort, on ne poignarde pas, on ne fouille pas, on ne cherche pas le pouvoir sur, mais pouvoir avec. »
Extrait de Payvagues, Editions de l'Attente, janvier 2023, 102 pages, 12 euros