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  • Photo du rédacteurGuillaume Augias

Déborah Costes : Journal de la puterie (Reprendre corps)


Déborah Costes (c) Patrice Normand/Editions Globe


Un manifeste est avant tout identifié comme une démarche esthétique et/ou politique. C'est aussi l'expression la plus pure qui se fait jour, la matérialisation d'un cri, un hurlement performatif.La formule « travail du sexe », par son existence-même, fait réagir à de nombreux endroits. Mais au premier chef, elle bouscule les personnes qui n'ont pas envie de faire face aux questions soulevées par cette dénomination.



Que Déborah Costes ait voulu ou non écrire un manifeste, commençons par lire ses mots : « Personne n'a le droit de me dire que ce n'est pas un travail. Personne n'a le droit d'interpréter pourquoi je fais ce métier-là. Personne n'a le droit de me faire taire. Personne n'a le droit de raconter mon histoire à ma place. »


En situation familiale et financière difficile, ballottée entre divers diagnostics médicaux l'écartant tous d'une sérénité quotidiene, Déborah Costes tente un jour l'expérience de camgirl, première incursion dans un monde qu'elle connaît mal mais qui va bientôt devenir une composante centrale de sa vie.

Sur Instagram, elle a publié quelques jours après la sortie de son livre ces mots suivants :« Je viens de la terre brûlée, des asiles et des salles d'attente. Je viens d'un microcosme dont j'ai fait cent fois le tour, d'une idée cent fois racontée. Je viens de celles qui ne savent plus se lever, marcher, fonctionner. Je viens de celles qui ne sont pas mortes, que personne n'a réussi à tuer. »


Ce qu'elle veut voir comme un travail rémunérateur, une manière de s'en sortir à la manière d'un job alimentaire, cela va néanmoins devenir le prisme par lequel le monde la voit. C'est avec amertume qu'elle comprend l'envers du décor. Ceux qui parlent d'argent facile le font payer cher. « La pute est payée pour être une femme, la femme paye pour être désirée comme une pute. »

Le premier ouvrage de Déborah Costes, dans son constat clinique et imparable, découvre la source d'une force inespérée. La précarité, la maladie et l'isolement social trouvent non pas un remède, mais à tout le moins une riposte, un regard franc jeté sur des postures. L'aspect programmatique du titre de ce livre, Reprendre corps, se déroule bientôt dans une réappropriation artistique.


Le texte est comme le diamant sorti de sa gangue d'oppression. « Cette image dont je me sers, que j'exagère et je romantise. Cette image bien loin de celle que je suis réellement, mais qui excite et qui attire. Les hommes m'inventent et ils payent pour désirer ce qu'ils ont créé. Que la misogynie me soit un tant soit peu utile, et qu'on ne me reproche pas de capitaliser sur le patriarcat. »


Un manifeste comme une trace, un signal, un appel. « Laissez sans argent les malades, les fous, les non-diagnostiqués, les étudiants, les transgenres, les fauchés, les racisés et les étrangers, les bizarres et les pestiférés de la société, ils finiront par vendre du shit ou leur cul. J'ai été abandonnée. C'est l'État qui m'a violée. Comme c'est lui aussi qui fait passer des lois mortifères stigmatisant les prostituées, lui qui nous met en danger et ne nous protège jamais. »


Lisez Déborah Costes, manifestez-vous.





Déborah Costes, Reprendre corps, Globe, août 2024, 176 pages, 17 euros

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