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Photo du rédacteurSylvie Gouttebaron

Delphine Saubaber : "Le plus difficile, dans l'acte de transmission, est peut-être l'écoute, et donc la modestie"


Delphine Saubaber (c) Muriel Bourquin


Delphine Saubaber est journaliste, autrice. Elle a reçu le Prix Albert Londres en 2010. Pour la connaître, cliquez tout de suite ici, pour aller vers un site qui dit tout de ce qui l'anime.

Son attachement à la transmission est immense, elle y donne tout son temps. Avec la comédienne Isabelle Carré, elles ont lancé plusieurs appels. Le dernier est une tribune paru dans Libé  à retrouver ici.

La Maison des écrivains et de la littérature a eu le bonheur d'inviter Delphine Saubaber dans le cadre de notre partenariat avec le Muséum National d'histoire naturelle, en 2023, afin qu'elle présente - lors de la présentation de notre action Par nature, des ateliers littéraires avec le vivant -, ce qui motivait ce premier appel qu'elle lançait avec Isabelle Carré, appel paru dans Le Monde à la rentrée scolaire 2023. 



En quoi diriez-vous que votre vie (ou une partie d'icelle) est vouée à la transmission ?


La transmission est en effet tout ce qui m'anime, c'est l'une des valeurs qui me parle le plus. Ma mère était professeur de français (j'ai eu en plus la chance de l'avoir une année en 6e !), elle m'a toujours beaucoup parlé de pédagogie, appris beaucoup de choses sur les enfants, leur façon de voir les choses, leur rythme... Elle avait une façon extraordinaire d'enseigner, aussi exigeante qu'humaine, motivante. Elle donnait des ailes. J'ai aussi été très marquée par une autre professeure en lycée. Un professeur, ça ne s'oublie jamais. Plus tard, j'ai été pendant près de 15 ans journaliste, me concevant toujours comme une "passeuse", cherchant à informer le plus grand nombre, à éclairer l'ombre, les coulisses, déceler les mensonges, parfois.., d'autant plus que je travaillais sur des sujets lourds, souvent liés à la violence. J'étais taraudée par cette question d'éclairer l'ombre, oui. Les articles ou reportages, dans mes premières années, qui m'ont beaucoup marquée, étaient d'ailleurs destinés à la rubrique éducation. J'ai à cette époque passé beaucoup de temps dans les écoles, collèges et lycées. Il me semble que la beauté, et la complexité du travail du professeur ne sont pas assez valorisées. Or, c'est selon moi le plus beau métier du monde : il consiste d'abord et avant tout à transmettre. 

Par la suite, la vie étant la vie, je suis devenue maman, donc "transmetteuse" en chef et au jour le jour. Mes enfants m'enseignent beaucoup, autant que je leur enseigne, et ils me font beaucoup évoluer. La transmission n'est pas à sens unique, elle n'est pas verticale, elle est tout aussi transversale.

Je donne aujourd'hui des ateliers d'écriture pour adultes et enfants. Donc je me sens pleinement dédiée à ce dont vous parlez. 

J'ai le sentiment de transmettre ainsi la passion des mots, la nécessité d'écrire, le goût des auteurs, d'un regard possible sur le monde, etc. etc... Cela va bien au-delà d'apprendre à écrire, ce n'est même pas comme ça que je le formulerais. C'est une passion véritable. 



Parlez-nous de votre "médium" ? 


Mon médium ? Je ne sais pas si je comprends la question. Mon medium est la foi. Celle que j'ai en la transmission. 

Quand une lueur s'allume dans le regard et le coeur de celui ou celle à qui vous transmettez, tout est là. Il n'y a pas besoin de grands discours ni de théorie. 

La transmission est une expérience vivante, presque tactile, charnelle, d'individu à individu. Elle se lit souvent dans le regard, dans l'attitude, plus que dans les mots, et elle ne peut pas se faire en visio. Tout cela est particulièrement sensible, relevant de la sensibilité. 



Avez-vous une « méthode » ?


Ma méthode ? Je ne l'ai pas formalisée, je la vis, je l'expérimente, tout le temps, à chaque instant. Le plus difficile, dans l'acte de transmission, est peut-être l'écoute, et donc la modestie. Savoir dévier de sa ligne de route, quand il le faut, car l'autre a une question qu'il n'ose pas toujours poser, un blocage, une ombre... qu'il faut aller chercher pour qu'elle n'envahisse pas son spectre et que cela lui permette de recommencer à respirer,  à s'élever.

Chaque fois que je vois un enfant être gagné par ce sentiment, cette sensation d'y être arrivé, d'avoir fait quelque chose dont il ne se sentait pas capable, de s'être surpris, j'ai envie de pleurer, à l'intérieur de moi. De sourire et de pleurer en même temps. Je le vis comme ça. C'est cela que je cherche, cette confiance en soi que produit la transmission, plus que le progrès en lui-même, qui n'est pas le but premier. Il vient ensuite. Et naturellement. Quand la confiance est là, tout est là. Un enfant qui a confiance en lui, qui voit qu'il écrit, donc qu'il pense, qu'il est capable de communiquer sa pensée à l'autre et que l'autre le comprend, peut développer cette confiance partout, dans tous les axes de sa vie. 

La confiance en soi, c'est sans doute ce qu'il y a de plus dur à obtenir, dans l'acte de transmission. Car c'est très exigeant pour le transmetteur, qui voudrait, forcément, parfois, que "ça" aille plus vite... Or il faut être patient. Et tout arrive. 



La transmission est-elle, pour vous, une sorte de création collective ?


Oui, si la société pouvait transmettre des valeurs communes destinées à élever nos enfants, ce serait bien. C'est même nécessaire. Mais c'est peu le cas, malheureusement. 



Pourquoi transmettre ?


Pour rester vivant(s), en tant qu'individu et société, en tant que communauté et que civilisation. 



Avez-vous le sentiment, ou l'impression, à chaque opportunité qui vous est donnée de transmettre, d'observer "l'objet" de la transmission comme une figure neuve, réinventée parce que partagée ?


Oui, l'objet de de la transmission est toujours neuf, par définition. Je connais bien les adultes et les enfants à qui je transmets, pour certains, à commencer par les miens, et je suis toujours étonnée de ce qui se produit, dans un sens ou dans l'autre, car on "n'avance" pas toujours, on "recule", parfois, ça aussi fait partie de la transmission. Ne pas attendre que quelque chose se produise. Tout faire pour que cela se produise, mais ne pas l'attendre, ou du moins ne pas le faire ressentir à l'autre, pour qu'il ne se sente pas obligé de répondre à une injonction, dans une société qui, en outre, est très "performative" et normative. C'est peut-être ce qu'il y a de plus difficile, ne pas attendre, ne pas faire peser de pression. Et je n'y arrive pas toujours, sans doute ! 

Je voudrais vous remercier, simplement, de m'avoir posé ces questions, car je ne me les pose jamais. Vous m'avez fait mettre en mots ce que je ressens, que je cherche. 



La 15e édition du Festival "Littérature, enjeux contemporains" de la Maison des écrivains et de la littérature, qui, cette année, a pour thème "Transmettre", se tiendra les 10, 11 et 12 octobre au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris) en partenariat avec Collateral.



Entrée libre





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