Comment ne pas aller à la rencontre d’un libraire pour ce dossier de rentrée littéraire sur les premiers et deuxièmes romans ? Si un premier roman doit évidemment son succès aux librairies qui les défendent, peut-être est-ce encore plus vrai pour les deuxièmes romans qui vivent sur les tables des libraires ayant choisi de les soutenir après un premier opus remarqué. C’est le cas notamment de Claude Faber, seul libraire indépendant de la côte catalane, qui, depuis quelques années, a ouvert à Port-Vendres, dans les Pyrénées-Orientales, la librairie Oxymore, lieu unique de rencontres et foyer d’intérêt pour la littérature, que Collateral ne pouvait manquer d’ interroger.
Quel traitement réservez-vous sur vos tables chez Oxymore aux premiers romans qui paraissent lors des rentrées littéraires ? Choisissez-vous de particulièrement les valoriser, et si oui, comment ? S'agit-il de laisser la chance au débutant et d'opérer, si jamais il connaît un succès rapide, comme Célestin de Meeûs en cette rentrée, d'appuyer sa valorisation ?
Je voudrais commencer par préciser que je me suis installé à Port-Vendres il y a bientôt trois ans après avoir longtemps été à Toulouse. C’est d’ailleurs à la faveur des conseils de Christian Thorel, d’Ombres blanches, que j’ai choisi mon local, lui qui m’a dit alors deux phrases qui furent centrales pour moi. Le premier conseil était un conseil de surface : on ne peut ouvrir un librairie qui fasse moins de 100 m2, notamment dans une ville comme ici, car il faut proposer une véritable offre, laisser la possibilité du choix et occuper un espace suffisant qui favorise visibilité et disponibilité. Le second conseil est un conseil qui, vous allez le voir, ressortit directement à la question des premiers romans. Thorel m’a dit : désormais, dans l’économie du livre qui est la nôtre, il est presque impossible d’ouvrir une librairie et de faire en sorte qu’elle tienne sans organiser de rencontres. La rencontre est ainsi primordiale à deux titres : elle a une fonction sociale et je dirais presque citoyenne : dans une ville comme la nôtre, elle agit à la manière d’un centre culturel. Elle participe de la vie culturelle elle-même. Elle a également une profonde dimension humaine, et dans les deux sens : pour les lectrices et les lecteurs mais également pour le libraire. Rencontrer des autrices, des auteurs, les inviter, c’est faire une rencontre humaine, approfondir la connaissance de l’œuvre. C’est ça qui m’importe. D’où l’importance des premiers romans pour moi : il s’agit donc d’une rencontre, de les faire découvrir à mon public et de pouvoir lui permettre de les rencontrer. Un premier roman, c’est une rencontre humaine avant tout.
Est-ce que le deuxième roman constitue à vos yeux la naissance d'une œuvre, bien davantage que le premier roman ? Est-ce que vous voyez un rôle plus important du libraire dans la défense du deuxième roman ?
Pour moi, la rencontre est centrale encore dans cette question du premier et du deuxième roman. Se noue, entre le premier et le deuxième roman, comme un pacte de confiance. Je prends plaisir à suivre l’œuvre d’un auteur ou d’une autrice comme ce fut le cas avec la formidable Emma Marsantes. Je l’avais invitée pour son magnifique Une mère éphémère et ai été très heureux de pouvoir le faire pour son deuxième roman, formidable également, Les Fous sont des joueurs de flûte, les deux parus chez Verdier. Le rôle du libraire est plus important pour le deuxième roman car il s’agit d’affirmer aussi la ligne éditoriale, que je souhaite, forte pour ma librairie. L’écrivain s’affirme, et les choix du libraire aussi : on s’accompagne mutuellement car l’autrice ou l’auteur d’un deuxième roman est plus attendu que celle ou celui du premier. C’est comme en politique, la première élection, vous pouvez la gagner par effet de surprise. La deuxième, c’est plus compliqué : vous n’avez plus l’attrait de la nouveauté, il faut fournir un travail de fond. Les deuxièmes romans, c’est pareil : le travail est beaucoup plus difficile, et les libraires doivent être là pour valoriser ce qui, à leurs yeux, n’est plus un effet de surprise mais une œuvre qui s’affirme.
Votre librairie est particulièrement active et riche d'événements : laissez-vous une place aux primo-romanciers ?
Nous essayons effectivement, comme je vous le disais, de proposer une véritable ligne éditoriale à notre librairie : nous soutenons des éditeurs dont nous apprécions les publications comme Anacharsis, Verdier car ce sont, là encore, avant tout de vraies rencontres. Mais elles ne peuvent pas demeurer seulement sur le papier. On a envie, notamment parce que le contexte politique de ces derniers temps est compliqué comme vous le savez, de faire de véritables propositions, d’incarner ces choix éditoriaux en une série de rencontres. Ces lectures, où figurent par exemple Laure Adler ou encore Mélanie Traversier, sont de grands moments pour le public de la librairie : c’est l’occasion d’affirmer le rôle du libraire. Ce rôle, c’est celui d’une attention soutenue à des auteurs et des autrices. On met ainsi l’accent sur nos découvertes, nos coups de cœur parce qu’il s’agit ainsi pour nous de dire que la librairie est un lieu d’accueil. On est toujours un peu au-delà du rôle de libraire, c’est le métier qui veut ça.