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Photo du rédacteurJohan Faerber

Claire Sécail : « Cyril Hanouna n’est qu’un pion de la bataille culturelle que mène l’extrême droite pour préparer une victoire électorale »



Impossible dans un dossier consacré à la bataille culturelle que mène l’extrême droite en France de ne pas évoquer la fureur médiatique du groupe Bolloré et notamment la place grandissante qu’occupent Pascal Praud et surtout Cyril Hanouna, l’animateur de Touche pas à mon poste ! sur C8. Loin d’être inoffensif et sans conséquence, le trublion du paysage audiovisuel comme il aime à se désigner lui-même occupe une place stratégique dans la propagation des idées d’extrême droite en France. Un populisme se met en place tous les soirs qu’analyse magistralement Claire Sécail, chercheuse au CNRS, dans un essai remarquable de justesse et de force, Touche pas à mon peuple paru au Seuil dans la collection « Libelle ». Derrière le divertissement, la désinformation menace. Autant d’enjeux inquiétants que Collateral a voulu sonder avec la chercheuse le temps d’un grand entretien.

 

 

Ma première question voudrait porter sur l’origine de votre formidable essai, Touche pas à mon peuple ! qui vient de paraître au Seuil dans la collection « Libelle ». Comment en êtes-vous venue à étudier la figure de Cyril Hanouna et notamment la manière dont l’émission Touche pas à mon poste a fini, par l’imposer, notamment depuis le rachat par le groupe Bolloré, non pas tant comme un animateur que comme un véritable acteur de l’opinion publique ? Quelle émission en particulier ou quel débat vous a conduit très justement à considérer que Cyril Hanouna « capte et structure l’imaginaire populaire » ? Est-ce le moment où, en 2018 et 2019, il s’est fait l’écho sur son plateau de la révolte des Gilets jaunes ?

 

Au départ, je devais surtout travailler, avec mes collègues du groupe de recherche « Média et élections », sur la médiatisation de l’élection présidentielle de 2022. Au printemps 2021, nous nous sommes réparti différents corpus médiatiques pour pouvoir comparer leurs contenus (un JT de M6, une matinale radio, de la PQR, une sélection de comptes Twitter…). Pour ma part, j'avais choisi de travailler sur un programme de divertissement pour comprendre comment on parlait – ou non – de la campagne électorale sous l’angle de l’humour. Est-ce que cela permet d’intéresser des gens à la politique ou, au contraire, le débat et les idées politiques y sont tellement dévalués que ce type de programme vient plutôt conforter la distance voire la défiance des citoyens à l’égard des personnels politiques ? Il n’y avait quasiment aucune étude sur Touche pas à mon poste alors que cette émission était régulièrement au cœur du débat public. Je ne connaissais pas vraiment l’émission. J’ai donc commencé l’analyse en septembre 2021 et j’ai assez vite compris que je n’étais pas sur la bonne piste car non seulement Cyril Hanouna parlait beaucoup de politique (pour ce type de programme) mais il faisait lui-même un véritable travail politique à travers son émission. J’ai regardé et codé l’émission quotidienne pendant huit mois, ce qui représente plus de 300 heures de programme. L’analyse quantitative et qualitative montrait clairement la surreprésentation de l’extrême droite, via le traitement de faveur accordé aux candidats qui représentaient cette famille politique (Zemmour en premier lieu, Le Pen) et la mise à l’agenda de ses thématiques de prédilection (insécurité, communautarisme, immigration…). J’ai publié ces données qui ont eu un certain écho médiatique à l’époque et m’ont surtout valu d’être attaquée par l’animateur dans son émission (et donc mécaniquement une vague de haine sur les réseaux sociaux). Cela a été pénible mais je restais surtout frustrée par la recherche elle-même car j’avais le sentiment d’avoir pris un train en marche et de ne pas avoir répondu à la question : comment un animateur jusqu’alors qualifié de « trublion du PAF » pouvait-il effectuer sans en avoir l’air un véritable travail politique par le biais de son divertissement ? C’est à ce moment que Salomé Viaud, éditrice au Seuil, m’a contactée pour me proposer de publier un essai sur Cyril Hanouna dans la collection Libelle. J’ai réfléchi un peu – je n’avais pas envie de me reprendre une campagne de dénigrement – et j’ai finalement accepté parce qu’entre-temps, en lisant certains travaux de politistes spécialistes du populisme (notamment le néerlandais Cas Mudde), j’ai compris que j’avais un angle d’approche adapté et un cadre théorique solide pour passer au cas pratique avec cet objet télévisuel. En retournant à l’INA pour remonter dans les archives de l’émission (un peu plus de 70 heures de programme supplémentaires), j’ai déroulé la chronologie et mieux compris l’évolution des discours non seulement de l’animateur mais aussi des chroniqueurs. Car mon objet d’étude ne porte pas tant sur Cyril Hanouna lui-même que sur ce que produit son talk-show. En tant qu’historienne des médias, ce qui m’intéressait n’était donc pas une émission particulière ou une séquence particulière – même si la crise des Gilets jaunes a été un moment important de cristallisation des discours populistes – que l’évolution du programme. Car je n’en connais pas d’autre qui ait pu basculer d’un genre à  l’autre à ce point : émission de commentaire sur la télévision au moment de sa création en 2010, TPMP est devenu un divertissement dans la logique des émissions « de troupe », puis à partir de 2018 un talk-show de plus en plus ouvert aux sujets d’actualité et enfin un talk d’actualité politisé enrôlé dans un projet idéologique (depuis 2020). Tout cela en s’abritant derrière la caution du divertissement,

 


 

Pour en venir au cœur de votre remarquable travail d’analyse, vous montrez immédiatement que se présentant comme populaire, l’émission Touche pas à mon poste se propose en vérité comme une vision partielle et très partiale de la culture populaire. L’émission repose donc sur une mise en scène populiste qui, à rebours du populaire, empêche même la constitution de tout peuple sur des bases saines. En quoi ainsi selon vous Hanouna offre son émission comme « un dispositif médiatique du populisme » pour reprendre votre judicieuse formule, à savoir comme ce qui confisque finalement le peuple tout en faisant du public une figuration réductrice de ce même peuple ? En quoi ce dispositif se positionne-t-il contre le peuple lui-même d’une certaine façon ?

 

Il y a plusieurs niveaux d’interprétation à partir de la grille de lecture du populisme. D’abord, et c’est fondamental, il y a l’enjeu de légitimité et de reconnaissance de l’animateur. La force de ses audiences (1,7 million en moyenne chaque soir) alliée à la structuration socio-politique de son public (qui puise surtout dans les catégories populaires de la population, volontiers anti-système) le conforte dans l’idée qu’il occupe une position privilégiée par rapport à d’autres programmes. Tout le travail sémantique – surtout mené par des chroniqueurs comme Gilles Verdez, Raymond, Karim Zeribi – est d’ériger cette entité de l’audience et du public populaire en « peuple » et de contribuer à faire de Cyril Hanouna le représentant privilégié de ce peuple, tandis que son plateau serait « une agora populaire ». C’est-à-dire qu’il mobilise tout un référentiel démocratique sur son plateau pour y puiser, comme le ferait n’importe quel leader politique, sa source de légitimité. Il est populiste en ce qu’il oppose en permanence les entités homogènes du peuple (idéalisé) et de l’élite (corrompue), pour mieux cibler certaines de ses composantes érigées en adversaires du peuple (les intellectuels, les institutions de la démocratie représentative, la gauche…). Comme dans la théorie du bouc émissaire de René Girard, désigner des « ennemis » – tous ceux qui le critiquent – permet alors de souder le lien de représentation qui unit le leader (animateur) à son peuple (public). C’est une mécanique redoutable qui produit des effets de croyances et conduit toute critique à être identifiée comme une forme de mépris social : selon ce raisonnement, critiquer un animateur apprécié par un public sociologiquement populaire reviendrait à mépriser le peuple. Or, ce que montre l’analyse de ses émissions, c’est que sa prétention à défendre les intérêts d’un peuple sert d’abord la construction d’une image personnelle. Pendant la campagne électorale de 2022, il a complètement ignoré la question du pouvoir d’achat, pourtant au cœur des préoccupations de son public ; c’est ce que montre également son traitement de la crise des Gilets jaunes, beaucoup plus ambigu qu’une simple défense des catégories précaires. Ce premier niveau de populisme reste centré sur l’animateur et le dispositif de son plateau de chroniqueurs.

Le deuxième niveau de populisme s’observe à partir des thématiques des plateaux de TPMP. Dans l’ouvrage, je n’ai pu en citer que trois, qui permettent aussi d’expliquer les étapes du virage éditorial de l’émission : l’anti-intellectualisme, l’anti-parlementarisme ordinaire et le populisme pénal. Les polémiques autour de son traitement de l’affaire Lola ou le clash avec Louis Boyard ne sortent pas de nulle part : elles reposent sur un substrat de discours à la fois chaotique dans leur formulation mais structuré en tant que composante d’un système de valeur. Et c’est là que l’on rejoint le populisme, qui est aussi une façon d’attaquer tout ce qui freine l’expression de la « volonté générale » du peuple, c’est-à-dire en gros la démocratie représentative. Attaquer l’État de droit qui ne juge pas assez vite (affaire Lola) ou ériger l’ensemble des parlementaires comme des fainéants qui gaspillent l’argent des Français et ne s’occupent pas des « vrais » problèmes, c’est fragiliser tous les niveaux de la démocratie représentative qui suppose du temps de débat pour l’arbitrage et la décision ainsi que le respect de procédures. Nos institutions ne sont pas parfaites et doivent pouvoir faire l’objet de critiques circonstanciées mais l’essentialisation de la critique, comme le fait le populisme hanounesque en jouant sur des ressorts psychologiques et identitaires, est une menace pour la démocratie. Cela permet surtout de banaliser le rejet massif des institutions auprès d’un public populaire et de préparer, dans l’esprit de certains, l’assise électorale d’un projet anti-démocratique et anti-républicain.

Et, c’est le troisième niveau d’analyse du populisme hanounesque, qui consiste à partir du plateau télévisuel comme lieu de la confrontation politique entre différentes conceptions du peuple. C’est là que les travaux de Cas Mudde sont particulièrement utiles : le politiste définit le populisme comme une idéologie « fine », peu substantielle, parce qu’elle mobilise des catégories peu élaborées (le peuple, l’élite…). Il oppose le populisme aux idéologies « denses » ou « substantielles », qui reposent, elles, sur des catégories plus élaborées historiquement (le nationalisme, le socialisme, le communisme). Or, en tant qu’idéologie fine, le populisme s’hybride facilement aux idéologies denses qui se teintent par adhésion ou stratégie d’un discours populiste pour mieux défendre leur vision du monde. Ainsi, le plateau hanounesque a d’abord été convoité par des populistes de gauche (c’est-à-dire une vision classiste et égalitaire du peuple) qui se sont progressivement fait instrumentaliser et avaler par l’écosystème Bolloré. Leur présence médiatique ne se jouait plus sur le plan des idées : ils n’étaient plus qu’un rouage télégénique et une caution pluraliste d’un agenda politiques maîtrisé d’abord par les populistes d’extrême droite (c’est-à-dire défenseurs d’une vision interclassiste et nationaliste du peuple). C’est en gros ce qui s’est passé depuis 2013 pour les représentants de la France insoumise qui venait sur les plateaux de CNews et C8. Pour Cyril Hanouna, ils ont compris tardivement et l’affaire Boyard a été le point de rupture.



 

Ce qui ne manque pas de frapper à vous lire, c’est combien vous démontrez avec force que Hanouna n’est pas à considérer comme un simple animateur d’émission télévisée. Parce que c’est un animateur populiste, il propose une manière de nouvelle figure télévisuelle. Vous en parlez comme d’un leader populiste, capable de privilégier l’action au détriment du débat et capable, par son émission même de proposer un outil de démédiation : un homme accompli du direct et toujours en direct. Vous affirmez ainsi qu’en bon populiste, il agit avant tout comme un chef de parti : diriez-vous ainsi que Cyril Hanouna agit et parle, dans son émission même, comme un homme politique qui ne s’avoue pourtant pas comme tel ?

 

Oui, l’analogie est pertinente parce qu’on en revient toujours au même objectif de légitimation de la personnalité, qu’elle soit politique ou médiatique. Chaque soir, Cyril Hanouna est candidat à sa propre succession en tant que « représentant du peuple », obsédé par les audiences comme un responsable politique peut être obsédé par le vote des électeurs. L’histoire de la télévision comme média de masse est riche de personnalités (journalistes, animateurs…) pouvant revendiquer un lien particulier avec leur public, mais un lien affectif qui forge l’assise de leur popularité. Dans le cas de Cyril Hanouna, ce lien affectif existe mais il se double de ce travail politique qui ne forge pas tant une popularité qu’une légitimité dans le débat public. C’est surtout ce que recherche Cyril Hanouna : peser dans le débat, voire faire le débat mais dans un but personnaliste, centré sur sa personne. C’est intéressant d’ailleurs de remarquer qu’il a progressivement rétrogradé dans le sondage des animateurs TV préférés des Français. En 2015, il s’était hissé à la 23e place (sur 50), au moment il faisait encore du pur divertissement. Puis son image n’a cessé de se dégrader au rythme des dérapages parfois lourdement sanctionnés par le CSA/Arcom (humiliations publiques des chroniqueurs, canular homophobe, propos sexistes, etc.). Aujourd’hui, il est sorti du classement et cela montre bien la distinction entre popularité et notoriété : les Français n’ont pas un regard positif sur lui et le perçoivent comme une personnalité clivante plus que populaire. Mais, qu’on en parle en bien ou en mal, cela lui permet d’exister, d’être au cœur du débat, d’avoir une certaine valeur aux yeux de responsables politiques coupés des catégories populaires et qui voient opportunément son émission comme un espace de reconquête de ces publics. Et en venant dans son émission pour servir leurs propres intérêts, ces responsables politiques ont contribué à le légitimer dans ce rôle d’animateur d’une « agora populaire » qui ne respecte en rien les règles du régime d’information, c’est-à-dire un travail de présentation factuel, éclairé et indépendant des sujets de discussion, nécessaire à l’expression des opinions.

 

 

 

Dans Touche pas à mon peuple !, vous démontrez de manière extrêmement convaincante combien si, « Touche pas à mon poste », l’émission d’Hanouna, répond d’un schéma populiste qui privilégie donc l’opinion aux faits, c’est afin de mieux saper les fondements de la démocratie. Vous avancez en effet que le débat, devenu forme spectaculaire, participe d’une conception duale de tous les problèmes abordés : l’antithèse qui constitue le plus souvent le schéma argumentatif qui guide les échanges entre les différentes parties aboutit à une non-conversation, sapée d’emblée. En quoi un tel dispositif formel est, selon vous, porteur de valeurs d’extrême droite comme par exemple l’anti-intellectualisme ?

 

C’est la fameuse citation d’Hannah Arendt dans La crise de la culture : « les faits sont la matière des opinions, et les opinions, inspirés par différents intérêts et différentes passions, peuvent différer largement et demeurer légitimes aussi longtemps qu'elles respectent la vérité de fait. » Chez Hanouna – et dans l’écosystème Bolloré en général – les opinions précèdent les faits. À l’ère de la post-vérité, les responsables politiques ont bien compris l’avantage de définir le réel d’abord en tant que matériau discursif, donc malléable. Le discours permet de façonner une réalité discursive que l’on cherche à présenter comme une vérité factuelle. C’est tout le contraire du travail d’information – journalistique comme scientifique – qui part des faits, des observations du monde social en respectant le plus honnêtement possible des échelles d’analyse pour permettre des interprétations robustes que possible et donc éclairer des opinions. Comme sur Fox News aux États-Unis, le travail d’influence de l’opinion sur CNews ou C8 se fait déjà par la mise à l’agenda thématique, puis par des choix de cadrages des sujets (souvent en mode binaire et manichéen dans TPMP) et enfin par le jeu de distributions de paroles (chroniqueurs, invités…). Chacun de ces niveaux comporte des biais que l’on peut clairement définir comme des manquements aux principes qui figurent pourtant dans les conventions réglementaires qui lie les éditeurs à la puissance publique, sous le contrôle et l’autorité du régulateur : absence de pluralisme, malhonnêteté de l’information, etc. Le Complément d’enquête de France 2 sur Cyril Hanouna a bien montré comment des chroniqueurs avaient été scriptés pour pouvoir mettre une thématique en débat – en l’occurrence la question de la peine de mort – et amené à défendre des positions qu’ils ne partagent pas. Tout cela au nom du divertissement.

 

 

 

Enfin ma dernière question voudrait porter sur votre sentiment sur la question de la bataille culturelle qui, depuis quelques années, se livre sous nos yeux. Vous soulignez combien Mélenchon a été l’un des premiers hommes politiques à venir dans les émissions de Cyril Hanouna convaincu alors de sa stratégie de conflictualisation et du populisme de gauche consistant à réinscrire le clivage gauche-droite dans le schéma peuple-oligarchie. Vous parlez d’échec cependant à son propos. Est-ce qu’ainsi, avec une telle émission, l’extrême droite n’est pas en train de gagner la bataille culturelle en imposant ses propres questions et son lexique ? Est-ce que ce jeu permanent entre débat, divertissement et politique sans le dire n’est pas propre à un schéma d’extrême droite, une manière, dites-vous, de présenter sur le mode du divertissement « pour y promouvoir sa vision ripolinisée de la guerre de civilisations » ? On se souvient du Complément d’enquête qui lui était consacré mais qui n’a pas vraiment eu d’écho dans la durée : est-ce déjà que l’extrême droite a gagné la bataille de l’opinion ?

 

Cyril Hanouna n’est qu’un pion et un moment de la bataille culturelle que mène l’extrême droite politique et médiatique pour peser dans le débat et préparer une victoire électorale. Bolloré est en croisade pour remettre Dieu au cœur de l’espace public et imposer les règles du marché, d’un milieu des affaires, faire passer l’intérêt privé sur l’intérêt général. C’est intéressant de voir comment que cet objectif conduit à des stratégies de programmation différentes selon ses médias, dont les contenus sont adaptés aux publics. Sur CNews, regardée en partie par des élites entrepreneuriales, le libéralisme économique et le conservatisme social font bon ménage (dans L’Heure des pros ou Face à l’info). Chez Cyril Hanouna, cela ne fonctionne pas comme ça : le libéralisme économique n’est pas le référentiel des catégories populaires qui ont des fins de mois difficiles. En revanche, il suffit de faire une traduction psychologique de ce discours, par exemple en exaltant les valeurs de réussite, c’est-à-dire une valeur accessible à chacun quelle que soit sa position dans un espace social. Ou en faisant intervenir le « bon sens », celui de « l’homme de la rue », qui a l’avantage de se référer implicitement à l’éthos démocratique (le « bon sens » est par définition partagé par le plus grand nombre). Pareil avec le conservatisme social, qui mobilise des valeurs culturelles et identitaires dont la mise en concurrence sert de carburant au fantasme d’une « guerre des civilisations ». Sur C8, tout cela se fait à travers les codes du divertissement ou de la télé-réalité (comme Bienvenue au monastère). L’erreur et le danger seraient de se laisser prendre par ce travail de polarisation de la société et croire que cette vision du monde façonnée par Bolloré à travers ses canaux médiatiques est une photographie fidèle de la réalité du monde social. De nombreux indicateurs plus objectifs renvoient au contraire l’image d’une société complexe, pluraliste, plus tolérante qu’on ne le croit, même si cela n’est pas une perception partagée de manière homogène dans les différents segments de la population. J’ai voulu, à travers ce livre, donner à comprendre l’ampleur de l’entreprise idéologique à l’œuvre, décrypter ce qu’il y a de structurant dans son discours, au-delà des polémiques du moment. En Allemagne, la société résiste, se mobilise face à la montée de l’extrême droite. J’aimerais être aussi confiante sur le cas de la France mais il me semble – ce n’est qu’un sentiment – que la faillite morale est plus forte, notamment chez certaines élites.




Claire Sécail, Touche pas à mon peuple, Le Seuil, janvier 2024, 84 pages, 5,90€

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