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Photo du rédacteurSandra Moussempès

Autofiction, traumas et féminisme - De Cassandre en Lilith : mes figures du quotidien I


Sandra Moussempès, 1995 (c) V. Otth

J'étais une forme précocement non diagnostiquée, fille fighteuse à décrypter du bout des doigts

My real life.LTd dans un autre temps

Élégant génocide génétique

 

De nombreux adjectifs pourraient décrire la violence avec beauté mais trop d'adjectifs s'auto-traduisent et lassent un champ de ruines

 

"Baby doll est-elle un souvenir (S)-e-x-i-s-t-e

Une loi raisonnée qui multiple ses propres interdits à l'infini.

A propos d'un mensonge classé X

l'entourage devient faction toxique

avec détermination en pleine obscurité

A présent (ou vit-elle?)

Et sa raison meuble un pavillon/déclinaison de joutes morales"

"Pourrait-on créer un répertoire de femmes qui mythifient la rencontre/attente ?

Des kamikazes affectives privilégiant le bénéfice secondaire à la "sefl-esteem" analysant chaque particule d'une atmosphère idyllique

 

 En susurrant quelques phrases toxiques, (…) / Dommages collatéraux : / – Le capitalisme / – L’obsession / – La domination patriarcale / – L’hyper positivisme / – Les coucheries pseudo-sentimentales sous forme de tronçons d’ambition / Le totalitarisme des corporatismes où les corps s’emboîtent par milliers / – La chanson française engagée ». Ou encore : « la notion du féminin au-delà / de quels clichés autour de quelle posture / sous quelles façades sociales / codifications gestuelles / comportementales ». ?

                                               Sandra Moussempès, Acrobaties dessinées (L'Attente)

 

 

Peu de temps après mon article "#MeToo toujours une omerta dans le milieu littéraire ?" sortaient les révélations de Judith Godrèche dans le milieu du cinéma. Une parole remuante pour de nombreuses femmes qui n'ont jamais osé s'exprimer dans leur vulnérabilité ou ayant reçu toute leur vie l'injonction de "ne pas faire d'histoires", dans la sphère privée ou professionnelle. C'est une boîte de Pandore qui s'ouvre. Pour des femmes qui se sont retenues de libérer cette parole sans fioritures ou qui, quand elles le font, dérangeaient les gens qui ne veulent pas savoir, cela ne les "concernait pas". Dans la sphère privée aussi, après un drame ou un trauma pour que la "famille" ou le groupe reste lisse, respectable. Parfois on va stigmatiser la victime pour ne pas remettre en question un mode de fonctionnement social. Cela peut venir de femmes aussi.

 

J'avais retrouvé un carton de photos anciennes. Je me replongeais dans les archives de ma vie, moi enfant, adolescente, avant et après le drame. Une photo de moi à 21 ans attirait mon attention, je prenais conscience que son auteur, mon petit ami de l'époque, m'avait fait subir des violences. J'avais cet air mélancolique d'ailleurs comme séquestrée par l'impossibilité de parler, qui s'en serait soucié surtout ? Les failles s'ajoutaient à d'autres failles, chaque faille rendait plus vulnérable.

 

J'ai toujours privilégié l'art, la création sans jamais censurer ce qui m'échappe, ce qui me traverse. C'est ainsi que je conçois l'art poétique et c'est le propre d'une œuvre. Parfois la coupe est pleine et par-delà l'art poétique, on voudrait se faire entendre. Le "on" est timide, à la fois universel et personnel. Car le "je" parfois n'est pas audible. Une connaissance à qui j'évoquais une tentative d'agression sexuelle sur ma personne dont l'auteur (pas un homme de pouvoir) était en lien avec le "groupe" poétique plutôt militant dans lequel elle espérait une fonction, elle aurait pu se positionner, avertir d'autres personnes concernées mais m'a invitée à "voir ça" directement avec mon agresseur (comme si je ne l'avais pas déjà fait) : "ce n'est pas mon problème" ajouta-t-elle. Un exemple classique de ce qui peut se passer lorsque l'on tente de "libérer la parole", pas seulement dans la sphère professionnelle. Sans notoriété cette parole peut même être contre-productive. Adèle Haenel l'affirmait elle-même, elle n'aurait jamais pu s'exprimer sans sa notoriété et son aisance financière.

 

Dans mes ouvrages, je convoque les icônes de la mythologie notamment Cassandre et Lilith qui conjuguent charmes et prophéties. Elles dérangent mais on les consulte y compris dans nos subconscients aussi pour leur sagesse et leur folie mêlées. De même que j’évoquais une Britney Spears scarifiée, très dark, dans Acrobaties dessinées (1) à la fois Sunny et Dommy girl. L'écriture autour des mythes de Cassandre et de Lilith relève pour moi de la rythmique d’une longue promenade dont personne ne sort indemne à travers les âges, les époques.

Il y a des bribes du réel qui parcourent mes poèmes, la violence mais aussi des souvenirs plus flottants, des anecdotes aussi plus légères mais symboliques intégrée à mes poèmes comme celle-ci : vivant avec mon père à 13 ans après le départ de ma mère, un psychanalyste fit de ma chambre d'enfant son cabinet temporaire, une patiente allongée sur mon petit lit de fillette tandis que j'attendais dans le salon devenu salle d'attente et recevais les confidences de femmes déboussolées. Dans ces ambiances libertaires, hippies. Les mouvements anarchistes joyeux. Puis la mort de mon père trois ans après, en 1981, la déflagration, la perte de la seule personne qui m'aimait si jeune.

 

Je me suis toujours sentie décalée, d'une autre époque. Je n'avais pas les fameux codes ou la personnalité extravertie de ce monde dit extérieur. Dans les années 80 j'étais une jeune fille. L'époque valorisait les relations toxiques notamment à travers certains films français d'auteurs. Même si les bons sentiments ne font pas les bons livres ou les bons films, le trouble et la violence des films de David Lynch, Cronenberg ou Harmony Korine s'accordaient mieux à ma singularité.

Des choses ressurgissent : il s'agit de revisiter ses souvenirs dont on préfère ne pas se souvenir. Je me souviens du petit ami (devenu romancier à succès "sulfureux") de la fille de mon beau-père qui m'avait dit un jour : "Tu nous faisais fantasmer avec tes petits bouts de seins de 13 ans". Je me suis sentie trahie par ces propos malsains, et d'autres choses bien plus indicibles à révéler. J'étais une petite-fille mal à l'aise avec ces regards troubles qu'elle sentait planer. Enfant, à seulement huit ans, je blondissais mes cils que je trouvais trop noirs avec de l'eau oxygénée pour ne pas être traitée de "pute" par les autres fillettes.

 

Pour avoir été victime de violences conjugales, en connaître les rouages, ceux de l'emprise et ceux administratifs, avoir vécu le parcours du combattant pour porter plainte contre un ex, savoir que celles d'après ont aussi été victimes ont eu peur de porter plainte. Savoir que l'adresse de la victime apparaît sur une plainte, ce qui dissuade des femmes par peur d'être retrouvées par l'agresseur. Ces "détails" du réel je ne veux pas en "polluer" mon langage singulier poétique. Comme d'autres violences larvées, indicibles pas forcément physiques ou sexuelles ni dans la sphère du couple.

 

Parallèlement, sur le harcèlement sexuel en France il était de bon ton de parler de "puritanisme à l'américaine" et de justifier les abus par cette soit disant façon d'être "bon vivant" à la française. J'ai souvent entendu ce type de phrase : "Il faut profiter de la vie" venant parfois d'hommes se disant féministes. La libération sexuelle comme domination du patriarcat. Pouvant altérer le santé mentale des femmes considérées comme des corps-objets.  Pour avoir vécu dans des pays anglo-saxons dans les années 90 je n'y voyais pas de puritanisme mais juste davantage de respect, je pouvais circuler dans Londres sans me faire interpeller comme à Paris. En France sur l'affaire DSK, un journaliste parlait de "troussage de domestique" avec un mépris de classe assumé sans que cela ne choque.

Lors d'un très bref passage en 1985 dans le milieu du Cinéma, je me suis rendue compte du "système", pour avoir subi une tentative d'agression sexuelle d'un producteur en vue, puis ayant fait un temps de la musique en France avant de réaliser plusieurs albums en Angleterre, étant beaucoup sortie la nuit à Paris et à Londres j’ai pu constater la différence. En Angleterre, il y avait beaucoup de femmes managers, bassistes, batteuses dans les années 80 et 90. En France, lorsque j'avais 22 ans, un producteur de musique avec qui je travaillais sur un disque m'avait proposé de poser nue pour ses photographies personnelles, j'avais décliné et ne l'ai plus revu. Tout comme dans le milieu littéraire, un critique littéraire notamment que j'avais éconduit deux fois alors qu'il était insistant et qui n'a plus jamais écrit sur mon travail, l'impossibilité d'en parler aux gens car les gens le courtisaient et d'autres faits que j'évoque dans mon précédent article sur Collateral. Un directeur de l'opéra aussi, connaissant pourtant mon entourage familial qui n'a pas hésité à tenter de m'embrasser de force dans sa voiture de fonction d'où j'ai pu fuir. J'avais 21 ans



Sandra Moussempès (c) DR

 


Heureusement j'avais aussi eu des expériences musicales très joyeuses, collaboré à des groupes plus underground notamment avec un ami de Censier en 1984 un ami rencontré à la fac qui lança par la suite les Daft Punk, me fit rencontrer le groupe Indurain (fondé par Marc Collin de "La nouvelle vague") avec qui j'ai chanté (avant de collaborer à des albums à Londres avec The Wolfgang Press et ensuite le DJ Berlinois Kinki Roland). Nous avions le même âge à peu près, nous étions tous passionnés de musique et de cinéma. Je posais aussi pour un photographe de mode qui avait pris les premières photos de Béatrice Dalle et son studio à Bastille était notre refuge avec d'autres jeunes femmes, ce sont de beaux souvenirs. Il n'est donc pas question de généraliser en prenant le prétexte de l'époque.

 

Il n'y a pas de bonne manière de libérer la parole. Être poétesse m'a permis de contrer les emprises. Tout comme la spiritualité et surtout le fait de devenir mère. Mais pas de tout dire. Tout dire ne fait pas le poème comme je l'écris dans Fréquence Mulholland (2). :

 

Poème sectionné

Si prose devient poème ou déraison

Ma tendance naturelle au mysticisme fait foi

Née d’une mère meurtrière

J’aurais voulu écrire

Sur les traumas de surbrillance

Rien ne pouvait être falsifié par un discours équilibré

J’aurais voulu tout dire

Mais dire ne fait pas le poème il en va de même Avec la matérialisation d’une abstraction

La subtilité interdit toute déviation du sujet non consenti

Finalement la bouche restera cousue pour les besoins du script

 

J'en reviens Cassandre et Lilith qui perturbent de même que la sirène envoûte par sa voix, comme ces femmes qui ont du mal à trouver leur place dans une société pleine d’injonctions, Lilith, attire et fascine autant qu’elle dérange la bien-pensance et rien n’a bougé de ce côté-là. On la brûle avec des mots. Pourtant elle détecte les mensonges et les faux-semblants. J'ai consacré tout un livre à Cassandre avec Cassandre à bout portant (3). Je devais d'ailleurs m'appeler Cassandre puis mes parents ont craint l’analogie avec le cassandrisme. Ils ont opté pour la Sandra du film de Visconti sorti l’année de ma naissance.

Depuis mon premier livre, ces héroïnes amplifiées parcourent mes livres. Lénaig Cariou a présenté une communication "Inquiétante étrangeté : les figures féminines dans l’oeuvre de Sandra Moussempès"(4) à la Sorbonne Nouvelle lors d'une journée d'étude consacrée à mon traval. Faisant écho à sa précédente communication : "Poétique de la voix off chez Sandra Moussempès " au colloque "Vocalités contemporaines"(5) dans laquelle, elle évoquait mes figures mythiques.

 

Avant de reprendre mon sujet dans les deux prochains articles autour de l’autofiction, plus en lien avec mon œuvre poétique et performative, je terminerai ici par ce poème extrait de Cassandre à bout portant autour de l'expression "tourner la page". J'ai toujours eu du mal avec ces expressions convenues et autres injonctions paradoxales. Il faut  "libérer la parole" mais vite "tourner la page"...

 


Le temps de l'écriture (et sur l’expression « tourner la page » )

 

Voici la petite fille cornée comme une page

Tu l’ouvres tu la déshabilles tu la prends avec toi

Tu lui donnes à manger avec une fourchette tu la tranches dans la longueur

 

Tu lui confies une page elle s’y étale et se replie avec la page

Tu l’écrases en refermant le livre

A priori elle n’est toujours pas morte elle se déplie avec les mots

 

La maison de phrases liquides est sa demeure principale

Un rayon lumineux s’attache davantage aux maisons/voix qu’au sujets invertébrés

Comme une anguille la petite fille perd un cri mais le récupère

 

C’est la poésie réduite en poudre noire puis retravaillée en pâte vivante avec un peu d’eau

Chaque pause dans un univers donné répand une odeur mystique

Qu’on retire sans pincette d’un temple au-dessus du temps

 

J’en ai pris conscience - je n’en ai pas pris conscience -

En plongeant mon coeur comme une fourchette dans une mémoire fixe

En aspirant les traits des convives présents lors de la scène finale

                                   Sandra Moussempès, Cassandre à bout portant (Flammarion)

 




Notes de bas de page

(1) Sandra Moussempès, Acrobaties dessinées et album CD Beauty Sitcom (L'Attente 2012) Acrobaties dessinées - l'Attente (editionsdelattente.com) 

(3) Sandra Moussempès, Cassandre à bout portant (Flammarion 2021, Prix Théophile Gauthier de l'Académie Française)Cassandre à bout portant - Sandra Moussempes - Flammarion - Grand format - Librairie Gallimard PARIS (librairie-gallimard.com)

(4)  Lénaig Cariou,  "Une inquiétante étrangeté : les figures féminines dans l’oeuvre de Sandra Moussempès, Sorbonne Nouvelle, septembre 2022

(5) Lénaig Cariou, "Le Museum des tessitures flottantes", Poé(li)tique de la voix off dans l’oeuvre de Sandra Moussempès, colloque "Vocalités contemporaines" Université de Reims, mars 2022

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