Que se cache-t-il derrière cette belle et lourde porte ouvragée et au bleu de la fortune ? Le Désastre de la maison des notables est une saga qui fait voyager le lecteur dans près d’un siècle de vie à Tunis, des années 30 du XXes. à celles du début du XXIe siècle. Deux familles, les Rassaa et les Naifer, en sont la matière vive, liées par un mariage traité sur le mode catastrophe, après cinq années de félicité apparente d’un jeune couple Mohsen et Zbeida. Le centre en est la jeune femme, Zbeida Rassaa – que nous verrons vieillir au cours du roman, de son enfance heureuse à une paralysie réelle et symbolique de l’âge de 25 ans à sa mort – mariée contre son gré à Mohsen Naïfer alors qu’elle espérait, semble-t-il, épouser Tahar Haddad.
L’autrice de ce roman passionnant est Amira Ghenim, née en 1978 à Sousse en Tunisie où elle est actuellement enseignante à l’université de cette ville. Agrégée d’arabe, elle a déjà publié des essais et des œuvres de fiction. Le désastre de la maison des notables (finaliste de l’Arab Booker Prize, prix Comar d’Or en Tunisie en 2021) est son deuxième roman, mais le premier à être traduit en français.
Zbeida est l’héroïne vers laquelle convergent tous les regards des familles et celui du lecteur tout au long du roman. Le premier récit, celui de tante Louisa, rappelle les crises d’épilepsie de sa maîtresse, les soins qu’elle a reçus et le mauvais présage qu’elles inscrivaient dans sa vie. La romancière choisit de ne pas raconter une histoire de façon classique en déroulant le fil du temps mais de créer une sorte de « tribunal » où témoins à charge et à décharge défilent pour dire leur version de l’histoire : celle du scandale d’un soir – la nuit du 7 au 8 décembre 1935 – qui rejaillit durablement sur les années suivantes et sur tous les membres des deux familles. L’arbre généalogique des familles donné en début de roman est très utile. Quand commence à ne plus le consulter, la partie est gagnée, les personnages ont été intégrés dans notre univers mental !
Ce que j’ai appelé le « tribunal » est inauguré et conclu par Hend, la petite fille de Lella Zbeida, fille de son fis Mustapha. Le « prologue » énoncé par elle et s’adressant à sa fille, est violent et brutal. Elle revendique et dénonce la tare transmise par sa famille, « leur arrogance, innée, est un trait hérité comme un bec de lièvre, des doigts collés ou toute autre malformation congénitale dont nul n’est responsable », lance-t-elle. Elle revendique ainsi, avec rage, un héritage biologique. En même temps, elle nous embarque dans le nœud de l’intrigue en citant sa grand-mère paternelle, Lella Zbeida, et Tahar Haddad. Elle annonce à sa fille, son projet :
« Maintenant que le djinn de la vérité m’est apparu, nu, des plis d’un cartable abandonné dans une cave, je vais le chausser de semelles d’encre et de papier, il te livrera nos secrets, y compris les plus répugnants.
Aujourd’hui, le djinn de la vérité te fera entendre les aveux de ceux qui assistèrent à la torture de grand-mère Zbeida, dans la maison de son époux et de son père, et mettra entre tes mains la lettre perdue de Tahar Haddad »
Tous les témoins, appelés à la barre du procès, forment « un seul corps malade », excepté la tante Louisa. Ils ont participé au supplice, activement ou par leur silence. On voit que le lecteur entre dans « le procès » à la fois mis en garde et déjà acquis à la cause de Lella Zbeida.
Aussi le premier récit, celui de tante Louisa vient-il renforcer l’innocence de l’accusée tout en en donnant un portrait plein de complexité. Louisa dit avoir pressenti « les prémisses du désastre ».
Les neuf récits qui suivent font alterner des membres de la famille des Rassaa avec ceux de la famille des Naifer. Tous ont un lien avec Zbeida – dans l’ordre de prise de parole : la domestique, la belle-mère, le père, le beau-frère, la seconde domestique, la mère, l’ex-belle-sœur, le beau-père, le frère jumeau et enfin le mari – ; leur ordre de narration est savamment dosé pour dire assez sans jamais en dire trop. Ce n’est plus le jeu des sept familles mais celui de deux familles ! C’est tout l’intérêt de ce roman de maintenir en éveil le lecteur, pratiquement jusqu’à son terne où il ne saura pas toute la vérité mais en effleurera de près les contours.
Face à la narratrice ou au narrateur, un autre membre de la famille est interpellé à chaque fois, lui aussi en lien avec Zbeida. Mais comme il ne répond jamais, on ne peut parler d’interlocuteur mais de récepteur dont l’identité précise les contours du discours tenu. Pour ne prendre qu’un exemple : le récit 6 de la mère de Lella Zbeida, Lella Bechira est plein de sous-entendus qui ne seront éclairés que par le récit 10 de Mohsen, le mari de Zbeida, soit 150 pages plus loin… Le lecteur va ainsi de surprises en éclaircissements et navigue dans les années où la confidence et la mise au point sont énoncées. Au fond, on garde la même incertitude que Mohsen qui s’interroge, à la fin de son récit (et presqu’à la fin du roman) :
« Comment Zbeida m’a-telle trahi ? Pourquoi, quand et où ? Je ne le saurai jamais. Et puis, m’a-t-elle vraiment trahi comme mes pensées me le faisaient croire, ou n’était-ce qu’une illusion germée dans l’esprit d’un paranoïaque obsédé par le soupçon ? Ets-il possible que toute l’histoire ne soit qu’un battement de cœur passager auquel le destin a mis un terme ? »
Zbeida, elle, ne parle jamais et quand la romancière la met en scène, c’est toujours par un autre regard. Hiératique dans son fauteuil d’infirme, elle hante chaque page sans jamais se livrer. C’est une des prouesses du roman.
Le second protagoniste est donc un personnage très célèbre en Tunisie et dans le monde arabe : Tahar Hahhad. Ainsi cohabitent, comme dans toute fiction qui sollicite l’Histoire, personnage référentiel et personnage imaginé.
On peut même penser qu’il est peut-être le vrai sujet du roman et ce qu’il a défendu dans ses écrits est illustré, en quelque sorte, par ces destins de femmes qui, chacune à leur manière, se heurtent au fonctionnement implacable du système patriarcal que celui qui l’exerce soit moderniste comme Si Ali le père de Zbeida ou traditionnaliste comme son beau-père, Si Othman. En ce sens, Tahar Haddad est le point focal du roman.
On peut rapidement rappeler – et le roman ne manque pas de le faire – qui est Tahar Haddad, peu connu ou inconnu du lecteur non tunisien. Né en décembre 1899 à Tunis dans une famille modeste originaire du sud du pays, il meurt prématurément en décembre 1935, à l’âge de 36 ans. Ses écrits et ses activités militantes ont tous été tournés vers l’émancipation, celle des travailleurs tunisiens pour qu’ils luttent pour leurs droits syndicaux ; celle de la femme tunisienne pour son émancipation. Formé traditionnellement – comment aurait-il pu l’être autrement dans la Tunisie de l’époque pour un non nanti ? –, il passe six années à la médersa avant de rejoindre l’Université Zitouna en 1911 dont il sort diplômé en 1920. Journaliste et syndicaliste, il fonde en 1924, La Confédération Générale des travailleurs tunisiens (CGTT) avec Mohamed Ali El Hammi. En 1927 il publie un premier ouvrage, Les Travailleurs tunisiens et la naissance du mouvement syndical. Ses articles, les années suivantes portent sur la nécessité de l’émancipation de la femme par son accès à l’instruction, l’abrogation de la polygamie, à partir d’une lecture rénovée de la tradition musulmane. C’est en 1930 qu’il publie l’essai qui lui vaut son ostracisme mais qui assurera sa notoriété postérieure, Notre femme dans la législation islamique et la société. L’essai a été réédité de nombreuses fois depuis.
Il y affirme, entre autres que le Coran « ne contient pas de prescriptions interdisant l'émancipation de la femme ». Ses amis lui organisent le 17 octobre 1930 une réception au casino du Belvédère, pour la parution de son livre. Cette réception tient une place appréciable dans le roman où elle est bien décrite. Néanmoins, condamné par les forces « bien-pensantes », il est interdit d’études à l’Ecole de droit de Tunis. Prenant acte de l’hostilité générale à son égard, il quitte la Tunisie trois ans plus tard. En exil, frappé par une crise cardiaque et atteint de la tuberculose, il décède, totalement isolé.
Toutefois, ce sont ses idées et propositions qui inspireront, le 13 août 1956, le Code du statut personnel et place la Tunisie comme le pays musulman le plus avancé en matière de droits des femmes. Il y est fait allusion, dans le récit de Lella Jenina, la belle-mère de Zbeida : elle rapporte les propos belliqueux de son fils Si M’hammed, plein de haine pour sa belle-sœur :
« - Zbeida doit jubiler, maman… Les ennemis de Tahar Hadad, qui l’ont discrédité hier, applaudissent Bourguiba aujourd’hui. Ton époux, Othman Naïfer, juge suprême, doit se retourner dans sa tombe, maman. C’est pour ça que nous avons chassé la France ? »
Depuis 1957 et le livre que lui a consacré Aboulkacem Mohamed Karou, de nombreux auteurs ont analysé ses écrits. Ce penseur, syndicaliste, journaliste et poète, se situe dans le courant de réflexion sur l’adaptation de la religion islamique aux temps modernes : il revendique la révision profonde, pour les femmes, du droit à la propriété, à l’héritage, au domaine judiciaire, au mariage forcé ou arrangé, au divorce et à l’éducation. Ses Œuvres complètes ont été éditées en 1999 par le Ministère de la Culture tunisien.
Dans son essai, Les Arabes, les femmes, la liberté (2007), Sophie Bessis le présente à la suite des deux Egyptiens, Kacem Amin (1863-1908) et Mansour Fahmy (1886-1959), citant la comparaison qu’il fait entre le voile et une muselière, celle « que l’on met aux chiens pour les empêcher de mordre ». Elle précise :
« Aucun d’entre eux ne renie pour autant son appartenance au vaste monde arabo-musulman, et ils se gardent bien de critiquer l’islam de front. Ils se réclament plutôt de sa tradition libérale et veulent l’inscrire dans leur époque. Moderniser l’islam pour le faire entrer dans le XXe siècle, voilà pour eux la priorité. Ils se démarquent en cela des courants issus des mouvements de la Nahdha – la Renaissance arabe – qui poursuivent eux, l’objectif inverse d’ « islamiser la modernité ». Farouchement désireux de s’intégrer dans la marche du temps, les libéraux arabes ne se préoccupent guère, à cette époque, de la question de l’identité. Ils critiquent plus volontiers qu’ils ne les défendent les particularismes de leurs sociétés ».
Ces actions et convictions de Tahar Haddad sont inscrites en texte. Et ils sont essentiels pour comprendre l’attirance qu’il suscite ou le rejet. Mais Amira Ghenima choisit de s’intéresser à l’homme privé, celui qui venu du « bas » de la société devient amoureux de la jeune fille de la bourgeoisie dont il est le précepteur d’arabe et la demande en mariage.
Tahar Haddad a-t-il déjà été personnage de roman ? En tout cas, il est le présent-absent de ce roman. On lira avec intérêt son portrait donné dans différents récits : d’abord dans celui du père de Zbeida, élogieux puis à charge après la demande en mariage d’une fille de notable par ce moins que rien ! Le beau-frère, Si M’Hammed Naifer s’en donne à cœur joie tant il le déteste lui et ses idées. Le récit insère la réponse cinglante de Tahar Haddad à ce fils de notable :
« - Tu ferais mieux de te taire, fils de Naifer. Pourquoi diable, toi et tes semblables, nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, devriez-vous ressentir le besoin d’une organisation syndicale ? Toi, comme les autres membres du prestigieux comité exécutif du parti, êtes une honte pour l’histoire des luttes de Taalibi. Vous ne croyez pas au nationalisme révolutionnaire. Vous vous rangez avec zèle et obéissance du côté du protectorat, tendant la main afin qu’il vous concède généreusement quelques miettes de réforme ».
Le portrait de Lella Bechira, la mère de Zbeida, dans son récit est tout en positivité.
Aux frontières de ce récit central apparaissent les luttes âpres pour l’émancipation des femmes entre partisans et adversaires, ceux-ci véritablement déchaînés ; la lutte des classes – la demande en mariage au père de Zbeida, refusée, est un morceau d’anthologie ; les déviances sexuelles où la domination masculine donne sa pleine mesure, ne sont pas euphémisées. Il y a aussi une remise en question de l’esclavage domestique à travers les personnages nullement secondaires de Louisa et Khaddouj.
En refermant le roman, partagée entre sa réussite remarquable et le goût amer de la domination des femmes sous de nombreuses formes, j’ai repensé au film de 1994 de Moufida Tlatli (décédée en 2021), Les Silences du palais. Le titre aurait bien pu s’appliquer à ce roman s’il n’était déjà pris… Qu’une création majeure donne envie de revoir une autre plus ancienne est un signe de grande réussite.
Pour les lecteurs qui ne peuvent lire dans la langue originale, la traduction est une chance. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité poser quelques questions à la traductrice, Souad Labbize.
Par Kelimanta — Travail personnel, CCB
1 - Parallèlement à votre activité de créatrice, vous êtes traductrice : avant de passer au travail sur le roman de Amira Ghenim, pourriez-vous nous donner une idée : 1- de ce que représente pour vous l’acte de traduire et 2 - une idée des traductions que vous avez faites antérieurement. Trouve-t-on facilement des éditeurs en France pour des créations traduites de l’arabe ?
[Rappel des traductions antérieurs, presque toutes, sauf la dernière, aux éditions des Lisières :
Aya Mansour, Seule elle chante (2018) - Ali Thareb, Un homme avec une mouche dans la bouche (2018) - La Valeur décimale du bonheur, 95 poètes d’aujourd’hui, du Maroc au Yémen (anthologie) Bacchanales n°60, Maison de la poésie Rhône Alpes, (2018) - Fadhil Al Azzawi, Faiseur de miracles (2019) - Salpy Baghdassarian, Quarante cerfs-volants (2020) - Yassin Al-Haj Saleh, Lettres à Samira (2021) - Samira Al-Khalil, Journal d'une assiégée, Douma, Syrie, éditions Ixe, (2022)].
Pour moi, l’acte de traduire représente un lien exigeant de compagnonnage d’un texte. Pendant toute la période de transfert de l’arabe vers le français, les détails narratifs, poétiques et les tournures de style deviennent des personnages intransigeants qui me mettent au défi de trouver leur double en français. Traduire pour moi ressemble à celui d’écrire mais la démarche est plus contraignante puisque les jeux sont faits et je dois m’y plier, le tout est d’y trouver le plaisir de traduire même s’il faut un peu trahir.
2- Je suppose que vous avez une connaissance assez avertie des écrivaines tunisiennes. Comment se situe Amira Ghenim dans cet ensemble ou dans la littérature tunisienne dans son ensemble ?
Le roman d’Amira Ghenim est un des rares à avoir figuré dans la liste courte du Booker arabe, prix très prisé. Son nom, ses livres semblent de plus en plus « sortir du lot » en Tunisie. La traduction italienne de Le Désastre de la maison des notables a reçu deux prix et la traduction américaine sort bientôt. Il me semble que peu de romans tunisiens arrivent à ce stade. Les lectrices et lecteurs qui s’expriment sur les livres de cette autrice sont très admiratifs.
3- En lisant le roman, certains mots retiennent l’attention. Peut-être des mots qui vous ont posé problème dans le passage de l’arabe au français. Pouvez-vous, pour nous, revenir sur certains d’entre eux ?
« ma vaine Zbeida » (p. 54) : J’ai découvert cette image du dialecte en lisant le roman. Là, il m’a fallu faire des essais avec des adjectifs avant d’opter pour celui-là.
Le récit VII de Lella Fawzia nous plonge dans un univers inhabituel. Sa traduction m’a paru particulièrement réussie : vous a-t-il donné plus de fil à retordre pour l’adapter à la traduction qui suppose un certain lecteur ?
Au contraire, ce chapitre m’a donné moins de mal, peut-être parce que le langage de Fawzia est plus facile et sans tabous.
4 - Il y a un côté ethno-sociologique dans ce roman : les mets, les rites, les habillements, les relations interindividuelles et familiales sont toujours décrits avec une grande précision et alors, les termes en arabe sont donnés en italiques avec une traduction ; les notes aussi sont nombreuses. Elles n’existaient pas je suppose dans le texte initial en arabe. Quelle est leur nécessité ?
Comme il s’agit de termes spécifiquement tunisiens ayant nécessité des notes de bas de page dans le texte arabe, il m’a semblé important de les garder et d’une certaine façon habituer le lectorat francophone à un nouveau vocabulaire. C’était une façon d’ancrer le texte dans sa petite géographie tunisienne.
Cela vous a-t-il posé problème ?
C’est plus long à traduire parce qu’il fallait faire des recherches assez nombreuses pour identifier les contextes d’utilisation de ces termes et m’assurer de bien savoir les décrire.
5- Les noms et les lieux sont très importants : comment, à votre avis, la romancière les a-telle choisis ?
Il s’agit des hauts lieux de la vieille ville arabe où les grandes familles de notables vivaient. Dans une interview, Amira Ghenim dit qu’elle a fait des recherches pour situer cette histoire.
Ont-ils une signification et une symbolique particulières ? On pense, en particulier à la demeure de chaque famille, la rue Tourbet-el-Bey pour les uns et la rue El-Azzafine pour les autres. Il y a aussi trois lieux particuliers : le mausolée de Sidi-Mahrez où Lella Fawzia déploie son récit, l’hôpital Aziza-Othmana où meurt Khaddoudj et le cimetière du Jellaz où Mohsen pleure sa seconde épouse secrète.
*Il est possible qu’on trouve ces noms parmi les familles de notables qui ont vécu ou vivent encore dans ces quartiers. Tourbet-el-Bey est un édifice funéraire, un mausolée collectif de la dernière dynastie qui régna sur la Tunisie.
*Le mausolée de Sidi-Mahrez est très populaire, c’est un des saints protecteurs de la vieille ville. De son vivant, il avait notamment pris la communauté juive sous sa protection ce qui leur a permis de vivre dans la médina.
*L'hôpital Aziza Othmana est le plus ancien des hôpitaux tunisiens encore en exercice a donc rendu beaucoup de services aux pauvres. Disons qu’il s’agit d’un lieu historique proche du mur d’enceinte de la médina.
*Le cimetière du Jellaz, est très connu par les Tunisois, mais ici ce qui est étonnant c’est que Mohsen y a enterré une non-musulmane alors qu’il existe un cimetière pour les israélites.
6 - Est-ce la place centrale – quoique biaisée – qui est donnée à Tahar Haddad qui vous a incitée à entreprendre cette traduction ?
C’est possible. J’ai écouté l’autrice présenter l’intrigue de son roman ce qui a retenu mon attention, peut-être parce qu’elle l’a fait dans une belle demeure de la médina où j’ai adoré vivre.
7- Dans la note de la traductrice, vous notez le travail fouillé qu’a demandé la traduction et vous évoquez l’humour : « sa langue soutenue, toujours fluide représente un défit pour la traduction ». Pouvez-vous préciser car je crois y avoir été moins sensible que vous ?
Peut-être que cela est plus perceptible pour des lecteurs habitués à l’humour tunisien, aux clins d’œil, aux sarcasmes. Certains personnages comme la tante Louisa sont très drôles et mordants. Je me souviens qu’au début de mon séjour tunisois je ne comprenais pas l’humour de films, de pièces théâtrales où toute la salle riait. Après quelques années de vie en Tunisie, en revoyant ces mêmes créations, je pouvais goûter à leur humour.
8 - Quelles ont été vos plus grandes difficultés ?
De rester le plus proche des images, du style de l’autrice, de huiler certaines tournures assez longues. Le chapitre de Sidi M’hammed m’a dérangé par certains détails douloureux.
9 - Vous qui avez vécu dans l’intimité de ces personnages pouvez-vous nous dire auquel vous êtes le plus attaché et celui qui vous révulse le plus ?
J’ai trouvé les personnages des deux domestiques assez attachants. La tante Louisa est drôle et touchante, Khaddouj est touchante mais autrement. Je n’ai aucune sympathie pour M’hammed malgré ses confidences sur son enfance.
10 - La traduction en français d’œuvres littéraires en langue arabe est-elle fréquente ? Avez-vous d’autres projets en perspective ?
Je sais par des amis éditeurs qu’il y a de moins en moins de moyens pour traduire. La traduction a un coût assez conséquent que les éditeurs ne peuvent supporter sans l’aide du CNL. Il paraît que le lectorat en France lit de moins en moins de livres étrangers. La littérature arabe n’est pas en bonne position…
Amira Ghenim, Le Désastre de la maison des notables, Philippe Rey, traduction de Souad Labbize, août 2024, 496 pages, 25 euros