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Algorithmes et déterminisme : quelle place pour la puissance d’agir ? Les réponses avec Spinoza

Photo du rédacteur: Arielle Castellan, Guillaume Sibout, et Aurélie Jean Arielle Castellan, Guillaume Sibout, et Aurélie Jean

Baruch Spinoza à l'ère de l'IA (c) Collateral
Baruch Spinoza à l'ère de l'IA (c) Collateral

Les algorithmes façonnent de plus en plus nos choix, influencent nos comportements et orientent nos décisions, en analysant nos données passées et en anticipant nos actions futures. Ces systèmes, capables de traiter une immense quantité d’informations, reposent entre autres sur un principe fondamental : déterminer nos préférences et nos tendances à partir des causes qui nous ont déjà conduits à agir. Depuis quelques années, cette logique déterministe interroge notre conception de la liberté et du libre arbitre : si nos décisions sont prévisibles et influencées par des calculs algorithmiques, dans quelle mesure pouvons-nous revendiquer une véritable autonomie lorsque nous interagissons avec ces outils ? Cette question, au croisement de la philosophie et des sciences algorithmiques, trouve un écho singulier dans la pensée de Baruch Spinoza (1632-1677), l’un des plus grands philosophes classiques au XVIIe siècle. 

Penseur du déterminisme et de la nécessité, il conçoit la liberté non comme une indépendance absolue vis-à-vis des causes extérieures, mais comme une meilleure compréhension des lois qui nous gouvernent. Selon lui, tout être agit nécessairement selon sa nature et en fonction des causes qui le déterminent, mais il devient véritablement libre lorsqu’il accède à une connaissance adéquate de ces déterminismes. Loin d’être une négation de la liberté, le déterminisme spinoziste se confronte à une autre forme de liberté à explorer, peu commune, permettant à chacun de mieux comprendre les causes qui le poussent à agir dans telle ou telle direction. 

Dans cette perspective, peut-on envisager les technologies algorithmiques comme des outils permettant de mieux nous connaître, d’agir de manière plus rationnelle et de nous libérer de certaines illusions ? Ou bien, au contraire, renforcent-elles les déterminismes sociaux et cognitifs qui nous contraignent, limitant la liberté individuelle ? 

L'idée centrale est d'explorer en quoi certains concepts spinozistes peuvent éclairer la manière dont les algorithmes, qui collectent et traitent des données sur nous, pourraient nous aider à mieux nous comprendre dans le monde. L’objectif est de mettre en lumière une continuité, ou une analogie, entre la philosophie de Spinoza et le fonctionnement des algorithmes numériques modernes. Quelles sont alors les implications éthiques, et politiques, d’un tel rapprochement pour la compréhension de la liberté humaine dans un monde de plus en plus régi par des systèmes algorithmiques ? 

 

 

Comprendre la liberté au-delà du libre arbitre : introduction à une perspective spinoziste sur les algorithmes 


Pour cela, il est essentiel de comprendre et de partir de la métaphysique (1) de Spinoza telle qu’elle est exposée dans son œuvre, l'Éthique (2), où le philosophe rompt avec la conception traditionnelle de son temps sur le monde, Dieu, la liberté et la place de l’homme dans la nature (3). Cette rupture s’inscrit dans une démarche méthodologique de type mathématique et géométrique (“More geometrico"), caractéristique du rationalisme classique de son temps (4) dont il est une figure majeure. Elle vise à fonder une éthique sur la connaissance et la raison humaine, plutôt que sur la crainte ou l’obéissance à une autorité transcendante (5), en éliminant les dualismes et les mystères théologiques qu’il considère comme des sources de superstitions et de divisions sociales et politiques. Parce qu’il rejette la transcendance divine en question, c’est-à-dire toute distinction entre Créateur et créature, ainsi que toute “volonté de dieu” (6) qualifiée d’“asile de l’ignorance” (7), Spinoza s'attache à déconstruire une métaphysique cartésienne (8) conduisant au dualisme du corps et de l’âme (9), à l’infini séparé du monde fini et des hommes, afin de lui opposer une vision immanente de la réalité (10).  

En effet, toute la métaphysique de Spinoza repose sur une thèse centrale qu'il s'attache à démontrer : il n'existe qu'une seule réalité dans la nature, le monde ou l'Univers, qu’il appelle la “substance”(11). Toute conception postulant l'existence d’autres substances distinctes relève, selon lui, d'une illusion fondée sur l'imagination et une connaissance inadéquate (12) parce qu’une substance est par nature infinie (13), nécessaire et cause de soi (“causa sui”), au sens où elle existe par elle-même et en elle-même, et non par la volonté d’une autre substance possible : “par cause de soi j’entends ce dont l’essence enveloppe l’existence, autrement dit ce dont la nature ne peut être conçue sinon comme existante” (14). Et cette substance unique est identifiée à Dieu : “Par Dieu, j’entends un étant absolument infini, c’est-à-dire une substance consistant en une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ”. Dieu est la seule substance infinie et nécessaire, cause de lui-même, et tout ce qui existe trouve son être en lui puisque tout découle de cette réalité ultime. D’où la célèbre formule controversée de l’Éthique : “Deus sive Natura”(15), c’est-à-dire “Dieu, autrement dit la Nature”(16), indiquant que Dieu ne doit pas être compris comme un être personnel transcendant, mais comme l’unique “substance” qui constitue la réalité. En d’autres termes, il n’y a qu’une seule réalité causale au monde, c’est-à-dire Dieu, et tout ce qui est, existe en Dieu.  

Ce point central de la métaphysique spinoziste conduit à une ontologie (17) inédite dans l’histoire de la philosophie, qui détermine les structures de l’être dans leurs causalités nécessaires (18), et donc à partir de la substance qu’est Dieu, ce qui justifie que tout ce qui existe constitue une partie de la substance - c’est-à-dire Dieu - dont la causalité immanente agit selon des lois nécessaires. Cette réalité ontologique de la substance, ou Dieu, se déploie de deux manières : les “attributs” (19) et les “modes” (20). Les attributs sont les différentes manières selon lesquelles la substance peut être perçue ou conceptualisée. Ils constituent les aspects fondamentaux de la réalité, et nous n’en connaissons que deux parmi une infinité : l'étendue et l’esprit (ou la pensée) (21). Les modes sont les expressions de ces attributs, ce qui signifie qu’ils dépendent de la substance infinie et des attributs pour exister. Ils représentent les aspects spécifiques ou particuliers de l’existence, tels que les objets matériels, les idées ou les émotions. Par conséquent, tout ce qui existe, y compris nous-mêmes, découle nécessairement de la substance unique, dont les attributs fondamentaux servent de base pour comprendre et concevoir la réalité sous ses différents aspects (22). Par exemple, l'homme est un mode fini de l'existence de la substance unique qui se manifeste à travers deux attributs fondamentaux tels que l’esprit ou la pensée (ses idées, ses émotions) et l'étendue (son corps). Qu’il s’agisse d’êtres humains, d’animaux ou d’objets, tout ce qui existe ne peut être compris que comme un mode ou une manifestation nécessaire et immanente à cette substance infinie. Spinoza ne se limite donc pas à définir ce qu’est la substance, ou Dieu, comme une entité abstraite, il examine comment chaque être singulier trouve sa place au sein de cette réalité unique. 

C’est là que le déterminisme (23) de Spinoza prend tout son sens : rien n’arrive par hasard et tout est gouverné par des causes nécessaires. Ce qui revient à dire que tout ce qui advient n’aurait pas pu ne pas advenir, bien que ce ne soit pas pour autant le résultat d’une intention divine. Chaque événement, action ou état d'une chose découle d'une cause spécifique, laquelle est elle-même engendrée par une autre cause, et ainsi de suite. Cette chaîne causale remonte toujours à la nature de la substance elle-même. Spinoza exclut entièrement l'idée de hasard ou de contingence. Tout ce qui survient est déterminé par une nécessité (24) rationnelle, et rien ne se produit "par chance" ou en dehors de cette chaîne causale. Les actions humaines, tout comme les phénomènes naturels, sont soumises aux mêmes lois causales. Comprendre cette notion de causalité chez Spinoza revient à reconnaître que la réalité tout entière opère comme un système rationnel, où chaque événement trouve sa justification dans la nature des causes qui se succèdent. En toute cohérence, les êtres humains ne font pas exception à ce déterminisme. Toutes nos pensées, nos désirs et actions ne résultent pas d'une volonté libre et autonome, mais trouvent leur source dans des déterminations antérieures. Chaque aspect de notre existence - qu'il s'agisse de nos choix, désirs ou comportements - découle nécessairement de causes préexistantes, qu'elles soient émotionnelles, rationnelles, physiologiques ou de l’ordre de l’influence sociale, économique, environnementale et historique. Ce qui faire dire à Spinoza que l’homme, loin d’avoir une situation transcendante ou privilégiée dans le monde, n’est pas dans la Nature comme un “empire dans un empire” (25). Il est régi par les mêmes lois universelles que l’univers - lois rationnelles et prévisibles - et non comme une entité séparée, ayant sa propre logique ou son propre espace de liberté. La conséquence est de taille : si l'homme et ses actions échappent à la contingence, alors une certaine conception de la liberté, entendue d’ordinaire comme “libre arbitre”, n'est plus qu'une illusion. En croyant agir de notre propre initiative, en réalité nos pensées et actions sont déterminées par des causes extérieures et des enchaînements nécessaires que nous ne maîtrisons pas. L'idée que nous agissons librement, indépendamment de toute causalité qui nous pousse à agir d’une façon ou d’une autre, découle de notre ignorance des véritables causes qui ont déterminé nos choix : “Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent.” (26) Spinoza réduit à néant toute réalité perçue ou ressentie d'un libre choix entre plusieurs possibilités, qu'il considère comme l'inévitable illusion d'un sentiment de “libre décret “ (27)

Pour autant, le spinozisme n'est pas un fatalisme (28). Contrairement au fatalisme, qui suppose une impuissance totale face aux événements, Spinoza soutient que la compréhension des causes qui nous déterminent peut offrir une véritable forme de liberté. Son déterminisme repose sur l'idée que tout est nécessairement causé certes, mais nous pouvons agir en comprenant ces causes et en nous accordant à la nécessité naturelle. La connaissance rationnelle joue ici un rôle central : loin de nous enfermer dans la résignation, elle accroît notre puissance d’agir (conatus) (29) et permet de transformer nos passions en actions éclairées par la raison. Bien que déterminés, nous ne sommes pas passifs : nous avons la capacité d’orienter nos actions en accord avec notre essence et d’atteindre une forme de liberté véritable, ce qui constitue le projet philosophique ultime de l'Éthique dans son entièreté. 

Chez Spinoza donc, la liberté existe : elle est réelle, mais relative. Elle repose sur notre capacité à comprendre les causes qui nous déterminent. Ignorer ces causes, c'est être dominé par nos passions et subir passivement les événements. En revanche, les comprendre nous permet d'intégrer ces causes dans notre manière d’agir. La liberté spinoziste ne consiste donc pas en l’absence de détermination, mais en la connaissance et l’acceptation de cette nécessité. Pour le dire plus simplement, puisque tout ce qui arrive ne pouvait pas ne pas arriver, il serait vain de prétendre échapper aux lois naturelles qui nous gouvernent. Dès lors, la seule liberté que nous ayons est intellectuelle : elle repose sur la compréhension des forces qui nous meuvent, grâce à la connaissance de soi et de la nature. Spinoza redéfinit ainsi la liberté comme nécessité intérieure, c’est-à-dire agir selon les lois de sa propre essence : tout est nécessaire certes, mais il y a une différence entre être poussé par des causes extérieures (être passif), et agir selon sa propre nature en comprenant les causes (être actif), grâce à la raison. Autrement dit, devenir acteur plutôt que spectateur de sa propre vie. Si j’agis sous l’effet d’une passion (par exemple la colère), je réagis à une cause extérieure. Si, au contraire, je comprends les causes de ma colère et que j'agis selon la raison (par exemple en cherchant à résoudre le conflit calmement), je deviens cause de mon action, donc plus libre. La fausse liberté que critique Spinoza consiste à croire que nous faisons ce que nous voulons quand bon nous semble. En ce sens, il faudrait parler plus précisément chez Spinoza d'une libération, plutôt que d'une liberté en soi. Car la seule liberté possible est, de fait, une exigeante conquête intime, nous permettant de nous libérer des passions pour atteindre une autonomie rationnelle. C’est la raison pour laquelle Spinoza est un farouche défenseur de la liberté politique : loin d’y voir une contradiction, il convient de comprendre que la vie en société doit nous permettre ce chemin intellectuel et non l’empêcher en étant trop contraignante. 

 

  

Algorithmes et connaissance de soi : augmenter sa puissance d’agir par la compréhension des causes 


Si nous opérons un saut vers les sciences contemporaines algorithmiques - ce qui constitue l’objet de notre propos - nous constatons, une fois les bases fondamentales posées par la métaphysique de Spinoza, que le fonctionnement déterministe des algorithmes numériques peut être mis en parallèle, par analogie conceptuelle, avec le déterminisme spinoziste. En effet, un algorithme défini comme une séquence d'opérations exécutées selon une logique donnée afin de résoudre un problème, accomplir une tâche ou répondre à une question (30), incarne un modèle de causalité stricte : chaque instruction ou étape découle nécessairement des règles et conditions définies par l’étape précédente. Cette rigueur dans la succession des étapes peut évoquer, à un niveau formel, le déterminisme spinoziste, où chaque événement, ou résultat, découle nécessairement de causes antérieures selon un enchaînement précis. Car le « comportement » des algorithmes est entièrement régi par leur conception initiale et les jeux de données qui les alimentent. Ils ne possèdent donc aucune spontanéité indépendante de leurs règles internes, mais exécutent strictement les instructions inscrites dans leurs codes. Ainsi, leur prévisibilité manifeste leur dépendance aux conditions qui les déterminent, tout comme, chez Spinoza, les actions humaines sont le produit nécessaire des causes qui les précèdent, suivant l’ordre de la nature. 

Cela étant dit, les algorithmes, en particulier dans certaines disciplines complexes de l’intelligence artificielle, peuvent produire des résultats qui pourraient nous sembler imprévisibles, non parce qu’ils échapperaient à toute détermination, mais en raison de la complexité des interactions causales et de notre ignorance de l’ensemble des paramètres qui les régissent. Cette apparente imprévisibilité peut également découler de phénomènes tels que la complexité computationnelle ou l’opacité des modèles d’apprentissage profond qu’on appelle “Black box” (31) ou “boîte noire”. Leur complexité interne peut parfois masquer cette nécessité sous une apparente contingence. Or, en réalité, les algorithmes n'incluent ni le hasard ou l'indétermination dans leur fonctionnement. Pour autant, le déterminisme spinoziste ne se réduit pas à un déterminisme purement formel ou de séquences d’opérations logiques. Il ne se limite pas à une simple relation de cause à effet, mais implique une nécessité qui régit toute la nature, y compris nos actions, nos affects et nos pensées, et par conséquent toute l’éthique de nos actions. Le déterminisme algorithmique demeure, quant à lui, “local” pour ainsi dire, au sens où il s’applique à des phénomènes causaux spécifiques, définis par les règles et les paramètres de conception d’un programme donné pour résoudre tel problème, ou répondre à telle question posée. Contrairement à Leibniz, Spinoza n’envisage en aucun cas, d’un point de vue métaphysique, que l’existence entière, ou le monde, soit possiblement le produit originel d’une forme de modélisation calculée par un Dieu algorithmicien (32). Assimiler l’existence à une suite logique prédéterminée ou à un calcul métaphysique est étranger à la pensée de Spinoza, pour qui la nécessité des choses découle de leur nature intrinsèque plutôt que d’un scénario programmé. L’existence n’est pas un “calcul”, mais l’expression de Dieu – ou de la Nature – à travers ses modes infinis. Par conséquent, aucun système algorithmique, même s’il prétendait fournir une explication téléologique du monde (33), ne saurait rendre compte du réel. Autrement dit, chez Spinoza, Dieu n’est pas un mathématicien qui aurait calculé l’existence du monde, en vue du meilleur, en vue de la perfection et de façon prédéterminée.  

S’il fallait donc définir un algorithme en termes spinozistes - osons, après tout, cette audace sémantique -, on pourrait l’énoncer ainsi : un algorithme est un mode fini de l’attribut de la Pensée, une idée déterminée à exécuter un enchaînement nécessaire d’opérations selon des règles définies, elles-mêmes découlant d’autres idées qui les précèdent. Lorsqu’il se modélise dans un ordinateur, cet ordre nécessaire s’exprime de façon équivalente sous l’attribut de l’Étendue, chaque opération ayant une correspondance physique dans la machine par le calcul, les lignes de codes, ses microprocesseurs et son infrastructure. Ainsi, comme toute chose dans la nature, un algorithme est soumis à l’ordre causal du déterminisme universel et n’agit pas “librement”, mais selon la nécessité de sa nature. 

Dès lors, en tant que mode d’expression fini de la Pensée et de l’Étendue, un algorithme, envisagé dans le cadre de la conception ontologique de Spinoza, prend une orientation épistémique intéressante : il peut tout à fait être envisagé comme un outil précieux pour la connaissance de soi et la compréhension des causes qui nous déterminent. Cela est d’autant plus significatif que, pour Spinoza, comme nous l’avons dit, la véritable liberté commence avec la compréhension de la nécessité : plus on comprend ses causes, plus on est libre et en adéquation avec soi. Or, les algorithmes, par leur capacité à analyser d’immenses volumes de données, à détecter des régularités et à révéler des structures causales invisibles à notre entendement limité, prolongent notre intelligence et nous aident à dévoiler des déterminations cachées. Mieux encore, les algorithmes peuvent être des alliés pour accroître notre persévérance dans l’être et notre puissance d’agir. 

Les exemples de technologies algorithmiques dans le monde qui nous entoure, quelles que soient notre utilisation et notre adoption de ces outils, ne manquent pas. Les algorithmes d’analyse comportementale, utilisés dans les applications de suivi du bien-être mental analysent les rythmes de sommeil, les émotions, le ton du langage afin de détecter des corrélations entre notre état émotionnel et certains événements extérieurs ou habitudes de vie. Lorsqu'un utilisateur ressent fréquemment de l'anxiété sans en comprendre la cause, l'algorithme de ces applications peut révéler que ces épisodes sont plus intenses après certaines interactions sociales, des événements spécifiques ou la consultation récurrente d'actualités sur son smartphone. En prenant conscience de cette cause, il comprend mieux ce qui le détermine et peut alors agir en conséquence, par exemple en limitant sa consommation d’actualités sur les réseaux sociaux ou en améliorant son hygiène de sommeil. 

De même, les algorithmes appliqués à la psychologie, notamment les modèles de traitement du langage naturel utilisés par des chatbots thérapeutiques inspirés des sciences cognitivo-comportementales peuvent aider à mieux comprendre des schémas cognitifs négatifs. Ces applications permettent de travailler sur ces schémas et d’acquérir une meilleure compréhension des causes profondes de réactions émotionnelles à l’origine d’états dépressifs. Ce ne sont donc pas de simples outils : ils deviennent des prolongements de notre corps et de notre esprit. Ils peuvent servir d’instruments d’émancipation psychique, intellectuelle et existentielle, à condition d’être utilisés pour éclairer la rationalité qui sous-tend les affects. Des risques de mauvais usage, incluant l’interprétation que font les êtres humains des réponses algorithmiques, existent et doivent être atténués voire éliminés pour permettre la pleine exploitation des bénéfices de ces outils. 

Ainsi, les technologies dites “augmentées”, c’est-à-dire celles qui augmentent notre capacité à analyser des données complexes, à percevoir des modèles cachés et à prendre des décisions éclairées, peuvent, dans cette perspective, être vues comme des outils qui amplifient notre compréhension de nous-mêmes et du monde, et donc notre puissance d'agir. Dans le domaine de la neuroscience, l'utilisation de l'imagerie cérébrale et des interfaces cerveau-machine, ont permis de réaliser des avancées majeures dans la compréhension du cerveau humain. Des algorithmes analysent les ondes cérébrales pour décrypter des phénomènes comme la mémoire, les émotions ou la prise de décision. En recherche médicale, ces technologies facilitent la détection précoce de maladies comme le cancer, et peuvent permettre une meilleure compréhension des causes sous-jacentes, et éclairent ainsi la prise de décision médicale qui en découle. Les modèles prédictifs en climatologie augmentent également notre puissance d'agir face à des phénomènes jusqu’ici difficiles voire impossibles à capturer. En exploitant des masses de données pour anticiper des phénomènes comme les canicules ou les ouragans, ils offrent des perspectives plus fines sur des variables échappant à notre intuition et nous permettent peut-être de mieux anticiper les catastrophes naturelles à l’avenir.  

Sans oublier les objets connectés de la “mesure de soi” (34) qui participent également à cette dynamique. Les montres intelligentes et applications de suivi physiologique, comme les capteurs de sommeil, de variabilité cardiaque ou de glycémie en continu, fournissent des données précises sur les fluctuations biologiques du corps d’un individu. Ces technologies, en fournissant des données sur les mécanismes biologiques et environnementaux qui nous influencent, rendent visibles certains déterminismes. Cette mise en visibilité ne suffit pas toutefois à garantir une action libre : comprendre les causes qui nous déterminent ne signifie pas simplement s’y conformer, mais les intégrer de manière adéquate pour devenir plus actifs dans notre puissance d’agir. Si la liberté spinoziste, fondée sur l’usage de la raison pour comprendre notre place dans le réseau des causalités naturelles, devait prendre une signification pratique et positive dans un monde algorithmisé tel que le nôtre, ce serait à travers une approche éclairée des technologies algorithmiques vues comme des modes d’expression finis de notre nature, cherchant à persévérer dans son être et à mieux se comprendre. 

Néanmoins, la rationalité spinoziste et la rationalité computationnelle algorithmique ne peuvent être mises en dialogue que sous une certaine condition. Un algorithme, en analysant des données et des modèles, peut fournir à l’individu des représentations plus adéquates de lui-même et ainsi contribuer à renforcer ses affects actifs (35), c’est-à-dire ceux qui augmentent sa puissance d’agir comme la joie, ou la compréhension. Chez Spinoza, toute affection du corps a son corrélat dans l’esprit, et notre puissance d’agir peut être augmentée ou diminuée selon que nous sommes cause adéquate ou inadéquate de nos affects (36). Mais une technologie algorithmique ne peut favoriser des affects actifs que si, et seulement si, les représentations qu’elle produit sont en adéquation avec la nature véritable de l’individu et l’aident à comprendre les causes réelles de son être. Telle est la condition. Ce dernier point est le plus important :  un algorithme ne garantit pas en lui-même une compréhension adéquate des causes réelles, mais il peut y contribuer si les données qu’il fournit sont interprétées de manière rationnelle et raisonnable, et permettent d’accéder à une connaissance vraie des déterminismes qui nous affectent. Ce n’est donc pas l’algorithme en lui-même qui reflète notre nature - il n’exerce aucune influence d’ordre finaliste sur nos actions ni sur la distinction entre le bien et le mal - mais bien l’usage que nous en faisons et le type de connaissances qu’il produit. 



La menace de la manipulation algorithmique : un défi pour la liberté spinoziste 


Car l’enjeu épistémique du rapprochement entre Spinoza et les algorithmes comporte des implications éthiques profondes. Un algorithme qui produit des idées mutilées ou inadéquates (37) peut empêcher un utilisateur de rester actif dans l’appropriation de ses représentations : faute de compréhension des causes réelles, il subit alors des affects passifs (38), étant déterminé par des forces extérieures plutôt que par une connaissance adéquate. Chez Spinoza, une idée inadéquate est une idée partielle et confuse (39), qui ne permet pas de comprendre les causes véritables des choses. Une idée est adéquate, au contraire, si elle se comprend par son seul contenu, sans référence confuse à des éléments extérieurs (40). Par exemple, l’idée qu’un “demi-cercle en rotation forme une sphère”(41) est une idée adéquate : il suffit d’avoir l’idée du demi-cercle en rotation sur son axe pour concevoir immédiatement la sphère, sans information supplémentaire. En revanche, l’affirmation selon laquelle "un chien est un animal qui aboie"(42) est une idée inadéquate, car on peut représenter un animal qui aboie (par exemple une otarie, un loup, un renard) sans que ce soit un chien : cette définition repose sur une caractéristique accidentelle, partielle, et non sur l’essence de l’animal. 

Appliquées aux algorithmes, les idées inadéquates se traduisent par des biais cognitifs transposés en biais algorithmiques, des corrélations trompeuses et des informations tronquées. Lorsqu’un utilisateur adopte ces idées sans les examiner de manière critique, il est déterminé par des causes extérieures et subit des affects passifs, phénomène que Spinoza décrit comme un état de servitude : “L'impuissance humaine à maîtriser et à réprimer les affects, je l’appelle Servitude ; en effet l’homme soumis aux affects est sous l’autorité non de lui-même, mais de la fortune, au pouvoir de laquelle il se trouve à ce point qu’il est souvent contraint, quoiqu’il voie le meilleur pour lui-même, de faire pourtant le pire”(43). Il s’agit de l’état dans lequel un individu est dominé par des causes extérieures qu’il ne comprend pas et qu’il subit passivement, sans pouvoir les maîtriser, comme la peur, l’espoir ou la tristesse. Consommer passivement des contenus recommandés par un algorithme, sans comprendre les critères de sélection ni l’impact que cela peut avoir sur soi, relève d’un état de servitude au sens de Spinoza. Car les bulles de filtre44 sur les réseaux sociaux enferment l’utilisateur dans un schéma de pensée uniforme, monolithique, clos sur lui-même, alimentant des affects comme l’indignation, la haine ou la défiance, sans qu’il ait conscience du processus algorithmique qui renforce ses biais cognitifs. En ne montrant à un utilisateur que du contenu conforme à ses opinions initiales, il pense alors que son point de vue est universellement partagé, ce qui est une idée inadéquate parce qu’elle repose sur une conception tronquée de la diversité des opinions. Aussi, dans le domaine de la justice, les cas de modèles prédictifs, tels que les algorithmes évaluant le risque de récidive d’un individu comme on a pu le voir aux Etats-Unis ces dernières années (45), peuvent reproduire et amplifier des biais présents dans les données d’entraînement. Ici, l’idée inadéquate s’appuie sur une généralisation abusive : l’algorithme ne mesure pas la culpabilité d’un individu sur des critères objectifs, mais sur des corrélations statistiques biaisées. Il est réduit à une donnée statistique et n’a pas les moyens de contester rationnellement une décision fondée sur une analyse erronée de sa situation. Cette discrimination technologique maintient certains groupes d’individus dans un état de passivité et de stigmatisation. 

Ainsi donc, les mécanismes de manipulation émotionnelle, de désinformation, d'addiction, ou encore l’enfermement dans des logiques de pensée simplistes, tous ces phénomènes, qui engendrent des affects passifs, peuvent trouver une résonnance particulière dans l’ensemble de l’œuvre de Spinoza, notamment dans son Traité théologico-politique : car la frontière avec les aliénations d’ordre politique, cognitif, superstitieux et religieux, voire tyrannique de l’opinion est très ténue. Le danger véritable est de renoncer peu à peu à sa liberté de pensée au profit d’idées dominantes, souvent manipulatrices et en apparence impersonnelles, portées par des idéologies parfois diffuses. Cette soumission collective asphyxie le raisonnement individuel, remplacé par un conformisme confortable mais profondément aliénant qui fait qu’un individu, “tout en n’étant pas directement placé sous le commandement d’un autre, est suspendu à la parole de cet autre à ce point qu’on peut dire justement qu’il appartient à cet autre, en tant qu’être pensant”(46). Ce dernier point de Spinoza est saisissant par sa modernité : la servitude numérique avant son apparition et son existence, dans un sens spinoziste, commence par ce phénomène où l’on se trouve suspendu à la parole d’un autre, qui n’est pas physiquement présent, mais à tel point que l’on pourrait dire qu’on lui appartient en tant qu’être pensant, c’est-à-dire par la captation de notre propre cognition. 

Si la superstition, la crainte, le fanatisme et l'ignorance - dont le complotisme numérique est une des manifestations via la peur et la haine - constituent, aux yeux de Spinoza, une menace si forte, c'est parce qu'ils sont des instruments de domination, des mécanismes affectifs asservissant les esprits et les éloignant de la raison (47). Il n'y a pas d'asservissement plus insidieux que d’abandonner sa pensée à une application technologique qui prétend la remplacer, voire penser mieux que nous : c'est le piège tendu par les outils génératifs d'IA qui, par un mauvais usage et un illettrisme algorithmique, nous enferment dans des bulles “génératives”(48). Les discours apocalyptiques et long-termistes sur une IA qui deviendrait un jour consciente et autonome, à grands renforts de coups médiatiques et marketing souvent cyniques et démagogiques de la part de leurs promoteurs, relèvent typiquement aussi de la superstition manipulatrice au sens spinoziste, une nouvelle forme de mystification moderne. Ils asservissent les esprits et conduisent les hommes à “adorer les rois comme des dieux”(49).    

À ce sujet, pourrait-on supposer que la pente idéologique dangereuse d'un monde de plus en plus dominé par les algorithmes - concentré entre les mains de puissances politiques et technologiques - pourrait nous conduire à une nouvelle forme de “religiosité” dans notre pratique quotidienne des technologies ? Il n’y aurait qu'un pas à franchir pour y songer tant les êtres humains tendent à déléguer leurs décisions et leurs raisonnements à des Machines censées penser pour leur bien et leur bonheur à l’instar d’un dieu - ici algorithmicien. 

Car Spinoza, lucide sur les moyens redoutables dont dispose toute religion et son corps politique pour “régner sur les âmes” (50), met en garde contre la menace d’une “division des États” (51). Tout rapport passionnel au pouvoir technologique, et donc politique, ouvre souvent la voie à l’adoration de “la vanité d’un seul homme” (52) prétendant en détenir les clés. Inutile de se tourner vers le passé, du côté des foules fascinées par leurs tyrans : l’actualité elle-même n’offre-t-elle pas un exemple, marquée par l’ultra-exposition médiatique de l’homme le plus riche du monde ? 

Parce que notre monde est constitué d’une multitude d’individualités - nous sommes tous des “modes” d’expression finis de la Nature qu’est Dieu, et par conséquent tous dignes d’être acceptés dans la différence - Spinoza défend l’idée que la liberté individuelle doit être protégée (53), non seulement contre la tyrannie des pouvoirs extérieurs, mais aussi contre les croyances imposées par les dogmes de certains groupes d’individus qui détiennent le pouvoir. Un État de droit est essentiel, avec des instruments juridiques permettant à chacun de jouir de ses droits et de sa liberté. Dans ce cadre, toute conception, tout développement et usage des technologies algorithmiques doivent viser à accroître la puissance d’agir des individus, mais dans le respect profond de la diversité humaine et de leurs différences. Selon une vision spinoziste, le pire scénario serait de justifier, au nom de la puissance d’agir d’un seul individu, une forme de modèle politique “algorithmisé” dans ses prises de décisions, par pur déterminisme formel, régissant la société dans ses mœurs, ses lois et ses structures sociales, afin de soumettre un peuple à une servitude causée par des idées inadéquates et, par conséquent, des passions destructrices. Un peuple réduit, au fond, à une multitude d’individus qu’il faudrait dominer par la crainte, la manipulation et la violence. Avec Spinoza, aucune démarche, aussi rigoureuse soit-elle, ne peut fonder l’idée que les choses adviennent et puissent être acceptées en vue d’une fin “décidée” par un algorithme. Confier à des algorithmes le projet d’un dessein politique ou d’une finalité sociale qu’une machine pourrait générer, serait une aberration pour Spinoza.  

Au fond, l’asile de l'ignorance (54), comme le dit Spinoza lorsqu'il parle de nos illusions et de notre aveuglement, trouve sa figure moderne dans l'idée de faire croire qu'un algorithme pourrait s'identifier ou s'équivaloir à…une “substance”. Une substance dont découlerait la nécessité de toutes nos actions dans la société, autrement dit un déterminisme voué à la servitude et à la souffrance. Le début de notre premier propos commençant par l’ontologie expliquée de Spinoza, en valait donc la peine : car faire croire qu’un algorithme serait “cause de soi” et donc cause de tout, à l’exclusion de tout le reste, constitue une justification métaphysique - si choquante soit-elle - d’une possible tyrannie numérique contemporaine.  

Spinoza est probablement le philosophe classique qui serait le plus sensible à la distinction fondamentale entre la technologie et ses applications, en ce qu'elles déterminent notre puissance d'agir selon telles augmentations ou telles diminutions de nos affects, à la frontière complexe entre nos individualités et la communauté politique. Les menaces sont déjà bien réelles et nous les connaissons : la croyance aux mythes manipulateurs et aux miracles de l’IA dite “forte” ou consciente (55), la délégation de la pensée individuelle dans les IA génératives, le solutionnisme technologique (56), l’esclavage à une échelle planétaire des travailleurs du “clic” (ou “Digital Labor ”) (57), et tant d’autres. Si l’intelligence artificielle et les technologies augmentées peuvent constituer un facteur d’émancipation à titre individuel, elles doivent être bien sûr abordées avec une extrême prudence à l’échelle collective, politique, économique et sociale, sous peine de se transformer en nouveaux instruments de servitude. Cette prudence dans les applications doit être distinguée du rejet de la technologie, qui peut pourtant être un allié précieux. 

Enfin, pour clore cette réflexion, évoquons la devise personnelle de Spinoza, telle qu’elle était inscrite sur son sceau de correspondances (elle prend d’ailleurs une résonance singulière lorsqu’on sait qu’il a été victime d’une tentative d’assassinat) : “Méfie-toi, sois prudent”. Cette devise était accompagnée d’une rose dessinée, symbolisant le secret préservé par un auteur si controversé, tout en faisant un clin d’œil à son propre nom : car “Spinoza”, dérivé de Espinosa, en référence à ses origines portugaises et juives, signifie “épineux”, à l’instar de tout débat de fond sur l’usage des technologies algorithmiques. 




Notes :

(1) La métaphysique traite des principes fondamentaux de la réalité, abordant les questions sur la cause première, l’être, l’existence et les structures ultimes du réel.

(2) Ethica, Ordine Geometrico demonstrata et In quinque Partes distincta, in quibus agitur” ; “Ethique démontrée selon l’Ordre Géométrique et divisée en cinq Parties”, par Spinoza, 1677, ed. du Seuil, trad. Bernard Pautrat, 1988.

(3) Spinoza, par Martial Gueroult, 2 vol., Paris, ed. Aubier, 1968-1974. 

(4) Le rationalisme de Spinoza, par Ferdinand Alquié, Paris, ed. Presses Universitaires de France, Paris, 2001. 

(5) Sur la liberté humaine et la laïcisation de l’éthique Op. Cit., Partie II : Définitions, 11-13, 40-43 ; Partie III : Définitions, Postulats, 2, 6-7 ; Partie IV : Préface / Partie V, Spinoza Lettre à Schuller ; Spinoza, Traité théologico-politique Chap. VII, trad. Charles Appuhn.

(6) Ethique, Appendice, Livre I  

(7) Ibid.

(8) La pensée métaphysique de Descartes, par Henri Gouhier, Paris, ed. Vrin, Paris 1962 

(9) Cf. Spinoza avait raison, par António Damásio, ed. Odile Jacob, 2003 

(10) Spinoza et le problème de la métaphysique, par Jean-Marie Vaysse, Philopsis Revue numérique, 2007 

(11) Op. Cit., Partie II, De Dieu, Définition III : “ Par substance, j’entends ce qui est en soi et se conçoit par soi : c’est-à-dire ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’autre chose d’où il faille le former.” 

(12) Op. Cit. , Partie III, Démonstration de la Proposition III 

(13) Op. Cit., Partie I I, Proposition VIII : “ Toute substance est nécessairement infinie”. 

(14) Op. Cit., Partie I, Définition I 

(15) Op. Cit., De la servitude humaine, Démonstration de la Proposition IV 

(16) Cf. I / Dieu ou la Nature | Cairn.info, par Charles Ramond, Introduction à Spinoza, ed. La Découverte, 2023 

(17) L’ontologie est une branche de la métaphysique qui s’interroge sur la signification et les structures de l’être.  

(18) Sur l’ontologie du système spinozien : Op. Cit., Partie I : Définitions, Axiomes, 1-11, 29, 33, Appendice 

(19) Op. Cit. Partie I, Définition IV : “ Par attribut, j’entends ce que l’intellect perçoit d’une substance comme constituant son essence”. 

(20) Ibid. Définition V : “Par mode (manière), j’entends les affections d’une substance, autrement dit, ce qui est en autre chose et se conçoit aussi par cette autre chose”. 

(21) Les interprétations divergent selon les traductions, entre “Pensée”, “Esprit", “Mental” pour désigner le terme “Mens, Mentis”. Le propos de l’article ici ne consiste pas à entrer dans ces controverses. Dans son Axiome II, Partie II, Spinoza dit : “ Homo cogitat”, “L’homme pense”, trad. B. Pautrat. 

(22) Sur le rôle comparé de l’ontologie (théorie de la substance), de l’épistémologie (théorie de l’idée), de l’anthropologie politique (théorie des modes, des passions et des actions), cf. Spinoza et le problème de l’expression, par Gilles Deleuze, Les Editions de Minuit, coll. Collection Arguments, 1969 

(23) Spinoza n'emploie pas explicitement le terme de “déterminisme”, mais ses commentateurs l'utilisent pour désigner sa doctrine. En ce sens, le spinozisme est une forme de déterminisme, car “Les choses n’ont pu être produites par Dieu d’aucune autre manière, ni dans aucun autre ordre, qu’elles ne sont produites. “ Op. Cit. Partie I, Proposition XXXIII 

(24) Elhanan Yakira Contrainte, nécessité, choix : La Métaphysique de la Liberté chez Spinoza et chez Leibniz, Zurich, Éditions du Grand-Midi, 1989 

(25) Op. Cit. Partie, III, Préface 

(26) Lettre à Schuller, 58, 1674, trad. Charles Appuhn, ed. GF 

(27) Ibid. 

(28) Introduction à l’Éthique de Spinoza, par Pierre Macherey, examen de l’auteur des Propositions XXIV à XXI du De Mentis, Partie, Op. Cit., ed. Presses Universitaires de France, Paris, 1997 

(29) C’est-à-dire son effort pour persévérer dans son être et augmenter sa puissance d’agir, Op. Cit. Partie III, Proposition VII : “ L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien à part l’essence actuelle de cette chose.” 

(30) Les algorithmes, par Aurélie Jean, Presses Universitaires de France, coll. Que Sais-Je? 2024 

(31) The artificial intelligence black box and the failure of intent and causation, by Yavar Bathaee ed. Harvard Journal of Law & Technology, Volume 31, Number 2 Spring 2018 

(32) Sur le rapprochement entre la métaphysique de Leibniz et les algorithmes, cf. Un algorithme pourra-t-il penser un jour ? Les réponses de Leibniz, Kant et Arendt, par A. Castellan, G. Sibout, A. Jean, ed. Revue Collateral, 2024 

(33) La téléologie est une doctrine philosophique qui interprète le monde à travers la notion de finalité, en considérant que les phénomènes se produisent en fonction d’un rapport entre moyens et fins. 

(34) Définition de la CNIL : “ Le "Quantified self” ou "mesure de soi" est un ensemble de nouvelles pratiques qui consistent à analyser son activité physique ou son mode de vie : poids, tension, calories consommées, nombre de pas dans la journée, rythme cardiaque, etc.  Il utilise plusieurs technologies : bracelets, podomètres, montres ou applications mobiles connectées aux capteurs d'un smartphone etc.” Pour une analyse critique de ces technologies cf. L’amélioration de soi en régime numérique : les ambiguïtés du Quantified Self, entre discours et pratiques, par Julien Onno, L’amélioration de soi en régime numérique : les ambiguïtés du Quantified Self, entre discours et pratiques, ed. OpenEdition Journals, Socio-Anthropologie, 2022 

(35) Éthique III, Démonstration III 

(36) Op. Cit., Partie III, Démonstration II : “Je dis que nous agissons lorsque nous sommes cause adéquate de ce qui arrive en nous ou hors de nous, c'est-à-dire lorsqu'une chose, en nous ou hors de nous, suit de notre nature et peut se comprendre clairement et distinctement par elle-seule." 

(37) Op. Cit., Partie III, De l’Origine & la Nature des Affects, Définition II : “Quand quelque chose arrive, en nous ou hors de nous, dont nous sommes la cause adéquate, c'est-à-dire (par la définition précédente) quand quelque chose, en nous ou hors de nous, résulte de notre nature et se peut concevoir par elle clairement et distinctement, j'appelle cela agir. Quand, au contraire, quelque chose arrive en nous ou résulte de notre nature, dont nous ne sommes point cause, si ce n'est partiellement, j'appelle cela pâtir.” 

(38) Op. Cit., De l’Origine & la Nature des Affects, Proposition LVI, Démonstration : “La joie et la tristesse, et conséquemment tous les affects qui en sont composés ou qui en dérivent, sont des passions (par le scolie de la proposition 11, partie 3). Or, nous sommes nécessairement passifs (par la proposition 1, partie 3) en tant que nous avons des idées inadéquates”

(39) Op. Cit., Partie II, Proposition XXXV 

(40) Op. Cit., Partie III, Définition I : “J’appelle cause adéquate celle dont l’effet peut se percevoir clairement et distinctement par elle. Et j’appelle inadéquate autrement dit partielle, celle dont l’effet ne peut se comprendre par elle seule. ” 

(41) Traite de la réforme de l’entendement, Chapitre IX, “L’idée fausse”, § 72  

(42) Ibid. Chapitre IV, “Les différents modes de perception”, § 15 

(43) Op. Cit., Partie IV, De la Servitude Humaine, autrement dit des Forces et des Affects, Préface 

(44) L’expression “bulle de filtre”, ou “bulle d’information”, a été théorisée par le militant américain Eli Pariser - dans son ouvrage The filter bubble. What the internet is hiding from you, Londres, Penguin, 2011-, décrivant une tendance chez les utilisateurs d’internet à ne chercher que des informations qui correspondent à leurs croyances ou opinions. Les algorithmes de recommandation des réseaux sociaux contribuent à ce phénomène. 

(46) Traité Théologico-politique, Chapitre XX, “ Où l’on montre que dans un État libre il est loisible à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense”, trad. Charles Appuhn, 1965, p. 327 

(47) Ibid., Préface : “ Nul moyen n’est plus efficace de gouverner la multitude que la superstition”, Spinoza se sert de la citation de l’historien romain Quinte-Circe au Ier siècle après J.-C.  

(48) Aurélie Jean, Guillaume Sibout, Pourquoi les IA génératives entraînent une double discrimination - Harvard Business Review France, Harvard Business Review France, 2025 

(49) Traité Théologico-politique, Préface, p. 21

(50) Ibid. Chapitre XIX, p. 320  

(51) Ibid. Chapitre XIX, p. 320 

(52) Ibid., Préface, p.21 

(53) Sur le droit naturel et l’idée de liberté civile, Ibid., Chap. XVI ; Spinoza, Lettre à Jarig Jelles 

(54) Op. Cit. Lettre à Schuller 

(55) The technological singularity, by Murray Shanahan, ed. The MIT Press, 2015 

(56) Pour comprendre les mécanismes du solutionnisme technologique, cf. « Pour tout résoudre, cliquez ici ! L’aberration du solutionnisme technologique », par Evgueny Morozov, ed. FYP, 2013 

(57) En attendant les robots - Enquête sur le travail du clic, par Antonio A. Casilli, ed. du Seuil, 2019 

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